Avec ce documentaire, F. Busnel et A. Soland nous embarquent pour un voyage littéraire au cœur des plus beaux paysages de l’Ouest américain avec pour seul guide, le célèbre et atypique Jim Harrison. Pendant presque deux heures, le spectateur est plongé dans l’intimité de cet artiste prolifique à la fois écrivain, poète et essayiste qui raconte et évoque les faits marquants de sa vie et de sa carrière.
Ce film n’a pas pour but de dresser une biographie détaillée de Jim Harrison et, en ce sens, seules quelques-unes de ses œuvres sont mentionnées. Il tend davantage à mettre en lumière la profonde humanité de cet écrivain et le rapport très particulier qu’il entretient avec sa terre natale.
Jim Harrison est un homme profondément enraciné : la nature et les grands espaces, plus qu’un simple cadre de vie, façonnent cet homme et le construisent en tant qu’artiste. A l’image des animaux et des amérindiens que l’on retrouve dans nombre de ses romans et nouvelles, il se dit connecté à la Terre dont il ressent profondément l’énergie et la force de ses éléments.
S’il lui est arrivé de vivre dans l’effervescence éreintante d’une ville comme Los Angeles, il n’a jamais renoncé à retrouver la tranquillité de sa terre natale. Incapable de terminer ses oeuvres littéraires loin des arbres à l’ombre protectrice de sa campagne, il retournait régulièrement dans sa maison isolée située à Pantagonia dans l’Arizona pour s’y ressourcer et retrouver l’inspiration. La ville ne permet pas de s’entendre penser, disait-il, c’est pour cela que le travail d’écrivain y est impossible.
Ce film nourrit également une réflexion passionnante sur le métier d’écrivain, du moment où l’inspiration fait éclore des idées nues dans son esprit au moment où l’auteur s’en nourrit pour construire son œuvre. Si Jim Harrison semble avoir construit son identité entière autour de son origine rurale, cette origine l’a parfois fait douter quant au potentiel créatif dont il pouvait faire preuve. Dans sa jeunesse, il n’osait s’avouer son désir de devenir écrivain du fait de son enracinement dans ce monde rural que nombreux regardent avec mépris. Néanmoins, il a un jour compris que cette connaissance de la nature était une force dont il pouvait se servir : c’est ainsi qu’il écrivit Wolf, a False Memoir, son premier roman.
Il rend également un formidable hommage à une de ses enseignantes qui, lorsqu’il avait treize ans, lui fit découvrir les œuvres de Stendhal et Apollinaire. Fasciné par ces auteurs, il a été alors confronté à une certitude qui élargit brutalement son champ des possibles : la littérature est un langage universel qui n’a que faire de vos origines et de votre milieu social.
Amoureux de la vie, il nous parle également de son goût pour la bonne cuisine et la pêche à la mouche qui, dans sa bouche, se transforment en quête initiatique. Les innombrables heures qu’il passait à regarder attentivement la surface de l’eau l’a amené à conclure qu’« une rivière qui coule est une [bien] belle métaphore de la vie ». Résiliente et indomptable, la rivière coule sans savoir ce qui l’attend par delà les rochers et même quand ces derniers semblent bloquer son sillage, elle finit toujours par trouver une fissure dans laquelle se glisser.
La magie de ce documentaire repose également sur la fresque visuelle qu’il offre au spectateur l’invitant à redécouvrir des paysages américains bien connus mais dont on ne cesse de s’étonner tant la beauté subjugue et laisse sans voix. Les routes que nous empruntons, les paysages que nous traversons, la nature que nous admirons sont magnifiés par la parole de Jim Harrison et pendant deux heures, il nous fait un formidable cadeau, celui de voir le monde à travers les yeux d’un poète.
En allant voir ce film, vous ne prendrez aucun risque car si vous connaissez Jim Harrison, vous découvrirez de nouvelles facettes de l’homme et si vous ne le connaissez pas, vous n’aurez qu’une envie en quittant le cinéma, aller dans une librairie pour acheter ses livres…
Par Lisa Teagno