Nicole Garcia, réalisatrice d’Un Beau Dimanche

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Ce vendredi soir (7 février 2014), le Sélect d’Antony – cinéma d’art et d’essai réputé venant de ré-ouvrir ses portes neuves après de longs travaux – invitait Nicole Garcia à débattre sur son nouveau film Un beau dimanche. Voici le contenu de cet entretien fort enrichissant et personnel d’une grande dame du cinéma français.


La Responsable du Sélect : Votre film est encore une fois lié à des thématiques qui vous sont chères : la famille, l’enfance… 2013 a été une année particulière pour vous car non seulement vous avez joué au théâtre la pièce de Tchekhov mais c’est également l’année où vous avez fait tourner votre second fils qui a eu un grand succès au sein des critiques. Ce rôle était-il un cadeau fait à votre fils ? Était-ce un rôle que vous avez écrit en pensant à lui ?
Nicole Garcia : Je tiens d’abord à souligner qu’il n’y a pas longtemps, au festival de Toronto, j’ai présenté ce film et dans la salle on s’émerveillait de lui sans connaître ses liens de parenté (Pierre Rochefort personnage principal, est le fils de Nicole Garcia et Jean Rochefort). Il a en effet inspiré ce rôle car il y a en lui quelque chose de romanesque. Et une violence. Il est solitaire, a le goût de l’aventure. Le film est parti de lui puis est allé très loin de lui, avec une histoire construite sur une femme qui doit de l’argent, une rencontre atypique. Comme une vie surprise par les événements. L’idée était de partir de lui et de poser une énigme sur ce garçon. De mettre la rencontre amoureuse à une place particulière, le conduisant ainsi à se révéler à lui-même. Ce qui fonctionne autant pour elle que pour lui d’ailleurs. Même s’ils viennent de milieux sociaux différents, ils ont pris des coups chacun.



Public : Qu’est-ce qui va leur arriver ? Est ce qu’on va le voir ?
Nicole Garcia : On a envie que le film prouve quelque chose d’autre effectivement, une stabilité. Qu’ils vivent une vraie histoire. Le personnage va devoir trouver une maturité, être lui ; sortir d’une mauvaise posture qu’il a prise. Mais raconter une histoire de leur vie, qu’ils finiront ensemble etc. ? Je n’irai pas jusque-là.



Public : Pour ma part, ce qui m’a intéressé était le personnage de l’enfant. Vous le montrez souvent et on ne le voit jamais sourire, il a l’air très malheureux. En voyant ce film, on renforce sa sollicitude vis à vis d’enfants de familles décomposées – car c’est ce qu’elles sont avant d’être composées et on oublie de le dire. Une scène qui m’a intrigué : celle où il voit sa mère dans les bras de Baptiste à la fin, l’enfant dans le plan est tout petit et a l’air très malheureux.
Nicole Garcia : Vous avez raison de parler d’enfants car cela me touche beaucoup, on ne sait pas comment les blessures ressortent, celles qui ont été faites quand nous étions enfants. Dans le film, à un moment, il souriait mais je ne l’ai pas mis au montage, car ça ne lui correspondait pas, cet enfant ne devait pas sourire, ce n’est pas ainsi qu’il prend les choses. Devant cette scène, il n’est pas triste mais plutôt perplexe, il ne sait pas dans quelle vie cela va le balancer. C’est la question qu’il se pose à ce moment-là. Quand je vois des enfants qui m’émeuvent beaucoup, je vois qu’ils cherchent leur place. On constate que certains parents se sentent encombrés par les enfants. On ne se rend pas compte des dégâts, des carnages que cela peut faire, des blessures qui vont rester. On a toujours un enfant en soi qui crie. Mathias récupère l’enfant au début du film car cela fait écho à sa propre enfance. Il est incompris. On ne l’entend pas.



Public : Je voulais parler du personnage de la mère (interprété par Dominique Sanda) car dans le film je n’ai pas réussi à savoir si je la détestais ou si je l’aimais. Elle a des côtés atroces et des côtés émouvants. Est-ce que vous aimez ce personnage ?
Nicole Garcia : Oui je l’aime ! Enfin… J’ai essayé de décrire le monde bourgeois dont elle est issue sans le juger ; car « tout le monde a ses raisons ». Elle a ses raisons de vouloir protéger ce monde aristocrate, de maintenir quelque chose. Un fils instituteur dans ce milieu, ça se cache un peu. Le fait qu’il arrive avec une fille qui vienne de la restauration également. Et en même temps, quand son fils revient elle remercie Dieu : on voit donc qu’elle a souffert de cette absence. A un moment dans le film, elle le dit bien « Moi je me suis dit : il est mort », à propos de lui. Elle montre qu’elle a dû chercher des moyens de moins souffrir de son absence. Et pourtant elle ne l’accepte pas comme il est quand il revient, bien qu’elle aime ce fils. Si son mari a fait l’offense à Baptiste de l’interner, elle a bien dû couvrir cet acte-là, elle n’a pas cherché une autre solution. Je l’aime car c’est un personnage fort et en souffrance en même temps. Elle veut dominer, elle ne pourrait pas tenir sans.


Public : Avez-vous vécu cette bourgeoisie-là ?
Nicole Garcia : Malheureusement non. J’ai pu la connaitre. Et puis il y a une part qu’on imagine, à la fois en l’ayant vu vraiment et en ayant lu des livres. On peut approcher le vrai en voyant la réalité des personnages. Des personnes issues de ce milieu-là m’ont dit que cela ressemblait réellement à la réalité.


La Celsathèque : La représentation des lieux dans votre film me paraît très symbolique. On a l’impression que les personnages sont décrits avant tout par l’espace dans lequel ils se trouvent. Un long moment est pris au début pour montrer le cadre de vie scolaire et un peu précaire de Baptiste. On voit également beaucoup la plage aux côtés de laquelle réside la jeune fille. On arrive enfin dans deux espaces clos : la maison aristocrate qu’on voit, et le deuxième lieu d’enfermement, celui de l’asile, dont on parle. Le personnage dit d’ailleurs à un moment cette phrase très intéressante : « J’ai mis trop longtemps à être ailleurs. ». Est-ce qu’il s’agit réellement de cela ? De construire le personnage à partir du lieu ? D’éliminer souvent la parole pour laisser envahir l’espace qui parle de lui-même ?
Nicole Garcia : Oui vous avez raison, les lieux sont fondamentaux ici, et la partie repérage du film m’a pris énormément de temps. Notamment pour le manoir familial, que j’ai beaucoup cherché. Au moment de l’écriture, les lieux sont moins là puisqu’on se concentre sur les personnages, mais ensuite, au moment des choix pour le tournage, ils sont fondamentaux. Et vous avez raison, le paysage participe en partie à dévoiler le personnage comme il est. J’ai fait le choix en partie des silences pour cela, je déteste quand le cinéma se commente. On n’a pas besoin de ça pour comprendre les choses, dans la vie on ne fait pas ça – à part quand on parle avec des amis de manière personnelle. Les corps dans l’espace parlent d’eux-mêmes. On comprend aussi les personnages par le lieu d’où ils vivent.


Public : Je voudrais vous questionner sur les mécanismes de la réalisation du film. Comment faire les plans ? Est-ce qu’en filmant vous pensez à la manière d’accrocher le spectateur ?
Nicole Garcia : Le style d’un film ne décide pas le film. On ne se dit pas : « à cette scène je mettrai tel décor, je vais filmer comme ça… ». Non. Ça se fait après l’écriture, au moment du tournage. La première partie du film est beaucoup plus filmée à l’épaule que la première. Toute la partie avant le départ. Peut-être parce que cette fois-ci, j’ai fait jouer des acteurs plus jeunes, je souhaitais quelque part les  accompagner davantage par les gros plans, par une caméra qui les suivait sans cesse , les aider et les soutenir ainsi. J’ai voulu tourner en étant au plus près d’eux, avec une caméra plus fluide, plus mobile. Peut-être pour saisir un tremblement, quelque chose d’à peine perceptible. L’écriture correspondait bien à un accompagnement : être vraiment avec eux, basculer dans leur vie. Alors qu’après, quand on arrive dans la grande maison, les plans sont plus fixes car on s’attarde ici sur les fonctionnements de la famille, qui rencontre qui, comment cela se passe.



Public : Pourquoi Baptiste est absent de la dernière scène ?
Nicole Garcia : A un moment, on s’est demandé si on allait faire une balance, voir la fille sur la plage, et voir Baptiste à l’école. Mais il est reparti dans sa classe, et finalement j’ai trouvé mieux de rester avec elle. Lorsqu’elle dit « J’ai rencontré un mec », elle le fait revenir dans le plan, on n’a pas besoin de le montrer physiquement, il est là, dans cette phrase.


Public : C’est fou ce qu’il est attachant votre film ! Mais j’ai une question : quel est le sens du prologue ?
Nicole Garcia : Au tout début du film, on voit un squat qu’on déménage. Je l’ai mis au début car c’est un film romanesque. On se dit que cette séquence-là, on la rencontrera quelque part, plus tard dans le film. On sait d’emblée qu’il y a autre chose que cette histoire un peu idéale, amoureuse, et que l’on va, à un moment donné ne pas être dans la petite histoire linéaire. J’avoue que je n’y avais pas plus réfléchi que ça mais c’est une critique dans Libération qui m’a expliqué pourquoi je l’avais fait (rires) : le journaliste expliquait qu’il s’agissait d’un film sur la précarité affective de l’enfant. Le plus orphelin de tous, ce n’est pas l’enfant que l’on garde depuis le début du film mais les deux autres, les « adultes ». C’est la difficulté d’avoir une place, de trouver sa place. J’ai trouvé merveilleux d’avoir pensé à tout ça, quand moi-même je n’y avais pas songé !


Public : Dans ce film et dans Un balcon sur la mer, il y a une révolte très présente, une dénonciation des choses. Est-ce que la réalisatrice que vous êtes est autant révoltée dans la vie ?
Nicole Garcia : Oui. Mais les gens vraiment révoltés doivent devenir des politiques ou des militants. Moi, mes douleurs je les mets dans les films, pour créer cette prise de conscience. Et nous les faire partager.


Public : On vous a connu depuis longtemps comme une grande actrice. Est-ce que la direction d’acteur est très différente pour vous par rapport à un réalisateur qui n’a pas été acteur ? Et est-il difficile de diriger son propre fils ?
Nicole Garcia : Je ne me suis pas sentie encombrée par la filiation. J’ai ressentie beaucoup de plaisir à tourner avec lui, mais j’ai été aussi exigeante avec lui qu’avec les autres. Et je lui ai voulu autant de bien qu’à d’autres. En termes de direction d’acteurs, je suis très aidée par le fait d’avoir été actrice. Je vois comment les aider. Louise Bourgoin, Jean Dujardin dans mon précédent film : je vois certes leur vitalité, la drôlerie qu’ils montrent à tous, mais je vois surtout le chagrin secret, la sensibilité qu’il y a derrière. Je sais les regarder comme ça. Je sais ce qu’est une bonne scène et de fait j’écris pour eux. Il est fondamental de créer un bon matériau de jeu. Un acteur sait reconnaitre une bonne scène. Ce n’est pas une question de psychologie, de leur expliquer les personnages, mais de leur montrer des choses : comment on porte le costume, comment on s’assied, comment on se déplace etc. Et ils sont doués, ils attrapent vite cette note là. C’est l’endroit où je me sens la plus à l’aise : être face aux acteurs.


Public : Je suis très étonnée par votre rejet de la psychologie, pouvez-vous nous l’expliquer ?
Nicole Garcia : Non ! Je ne rejette pas la psychologie. Mais dans les films je veux qu’elle passe ailleurs que dans le discours. Je veux que la tension dramatique explique les personnages. Ce sont nos actes qui parlent pour nous. Il n’est pas intéressant de les raconter comme on se raconte dans la vie parfois. Il ne fallait pas de commentaires là-dessus. On est « agi ».  Je n’aime pas les gens qui se commentent. C’est presque le problème de l’analyse du film. Il ne faut pas tout dire sur lui, c’est une paresse. Comprendre le message, parce qu’il fait plus qu’il ne dit. Dans l’Adversaire, le personnage se tait totalement.


Public : Qu’est ce qui fait qu’une actrice souhaite devenir réalisatrice ?
Nicole Garcia : Ce n’est pas original. Il est vrai qu’il est moins courant que des actrices plutôt que des acteurs deviennent réalisatrices, et encore moins des actrices qui ne jouent pas dans leur propre film. Moi j’aurais voulu être metteur en scène plus tôt. J’ai toujours eu beaucoup d’enthousiasme à jouer. Je pense qu’il y a une vraie part de création en tant qu’interprète, on vous demande votre imaginaire, tout en entrant dans l’univers de quelqu’un, du metteur en scène. Quand j’ai découvert que j’avais un talent pour raconter des histoires, ça a été une très grande joie de découvrir cela. Quelque chose comme une grande liberté où je partais ailleurs. J’aime toujours être dans cette alternance de jouer et de mettre en scène. Et puis c’est comme une manière de parler à la première personne, ma vision des choses. Quand j’ai fait le montage de mon premier court-métrage, j’ai eu une révélation de ce qu’était le cinéma.

Propos recueillis par Chloé Letourneur

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