Dossier Chanel : La publicité de luxe fait son cinéma

L’affiche annonçant l’évènement.

En octobre dernier, les différentes classes de Magistère ont été conviées par MK2 et Chanel à un événement pour le moins unique, alliant luxe, publicité et cinéma. Sous le regard avisé de Thomas du Pré de Saint-Maur, directeur artistique chez Chanel, ainsi que de multiples invitées, comme Marie Robert, philosophe, Charlotte Lipinska, journaliste, ou Emily Barnett, scénariste et romancière, il s’est agi, le temps d’une soirée, de répondre à la question suivante : « La publicité, c’est aussi du cinéma ? » Le tout, en plongeant dans l’héritage publicitaire de Chanel pour son parfum centenaire, le N°5 – ainsi qu’en attendant impatiemment la projection en avant-première de See you at 5, dernier né de la série.

Les premiers échanges ont d’abord permis une rétrospective des publicités N°5, dévoilant ses précédentes égéries. Sur un grand écran du MK2 Bibliothèque, se sont dévoilées sous nos yeux une Catherine Deneuve auréolée de mystère, une Carole Bouquet aussi magnétique qu’insaisissable ou encore une Marion Cotillard rêveuse, poétique, quasi-céleste.

Mais aussi des égéries, à l’affiche de publicités qui seront jugées désuètes au cours de la soirée : une Nicole Kidman rendue incernable par un scénario tout en longueur, ou une Gisèle Bündchen très, peut-être trop, spectaculaire, se perdant dans une histoire d’amour caricaturale.

Nous avons tout de même trouvé à toutes ces égéries un point commun : celui d’élever leur incarnation de l’esprit « N°5 » au rang de mythe. Par leur carrière au sein de l’industrie cinématographique et la fascination singulière qu’elles exercent, ces stars ont porté toujours plus haut l’attrait que l’on peut ressentir à l’égard du luxe – que Thomas du Pré de Saint Maur considère comme un « excédent de vie » ou une « sensation de densité ». Une phrase du sociologue Edgar Morin est dès lors venue enrichir les discussions au cours de la soirée:


La vie publique des stars est publicitaire, leur vie réelle mythique.

Edgar Morin


Et c’est justement en mélangeant ces dimensions, ainsi qu’en brouillant les frontières entre publicité et cinéma, que le N°5 s’est imposé comme une icône.

Cependant, nous nous sommes également attardés sur les figures de l’ombre, qui ont orchestré avec soin cette mutation symbolique : les réalisateurs de ces publicités. Leur point commun ? Avoir navigué tout au long de leur carrière entre publicité et long-métrage. Nous avons ainsi découvert, avec chaque visionnage, la patte de Ridley Scott, Baz Luhrman ou Johan Reck, associant leurs codes cinématographiques à l’élégance intemporelle de Chanel. Leur savant travail semble avoir confirmé notre intuition initiale : la publicité, c’est aussi du cinéma.

Et l’avant-première, alors ?

La salle retient son souffle alors que s’apprêtent à être révélées, pour la première fois, les scènes pensées par Luca Guardanico, le réalisateur de Call me by your name (2018) et du récent Challengers ( 2024). Elles s’ouvrent, d’abord, sur la nouvelle égérie : une Margot Robbie resplendissante, acceptant un rendez-vous de son homologue masculin, Jacob Elordi. Alors que chacun part retrouver l’autre, mais finit par le manquer, les yeux rêveurs de Margot Robbie donnent à dire que le vrai rendez-vous est ailleurs : dans le voyage, la quête de sens d’une femme qui renoue avec elle-même.

Margot Robbie et Jacob Elordi à l’affiche de la nouvelle campagne de Chanel

Si l’on peut juger répétitif le thème du rendez-vous amoureux, celui-ci n’en est pas moins un clin d’œil à l’héritage des publicités Chanel. Parce que oui, l’intérêt de la rétrospective a ici trouvé tout son sens : chaque plan semblait faire écho à un autre, tourné des décennies plus tôt.

Le regard profond de Margot Robbie, comme le miroir des yeux de Catherine Deneuve, les scènes en voiture dans un paysage aride, pour rappeler Carole Bouquet sous l’angle de Ridley Scott – et son film Thelma et Louise, paru la même année – ou encore le plongeon final de Robbie dans une eau claire, dorée, rappelant incontestablement Gisèle Bündchen sous les traits d’une surfeuse Chanel. Une profusion de clins d’œil, mais pour autant remis au goût du jour : les smartphones apparaissent, les tailleurs raccourcissent, la bande-son – Veridis Quo des Daft Punk – envoûte par sa modernité. Finalement, à eux tout seuls, Jacob Elordi, révélé dans la série Euphoria en 2019, et Margot Robbie, adulée pour son succès planétaire dans Barbie en 2023, incarnent le vent de modernité qui semble souffler sur Hollywood – et sur Chanel.

En fin de compte, cette soirée nous aura appris à décoder les publicités Chanel, ainsi qu’à lire, entre leurs lignes, l’histoire d’une industrie créative souhaitant faire du N°5 un véritable patrimoine culturel. Le tout, par des codes, des acteurs, des scènes, des références, un héritage. Par tout ce que le N°5 essaie, par-delà sa fragrance, de capturer dans son essence.

Un article de Marion Tschudy