C’est beau, plus beau que leurs équivalents français pour la plupart, ce sont les affiches de nos films occidentaux en Asie. Dans l’ordre vous aurez peut être reconnu Belle de Jour (Buñuel), Pour une poignée de dollars (Sergio Leone), Fargo (Frères Cohen), Masculin Féminin (Godard), Et pour quelques dollars de plus au Japon (Sergio Leone), et La vie d’Adèle (Kechiche) en Corée. Tout ça nous a donné des envies d’analyse d’image : penchons-nous donc un instant sur le travail de ces esthètes que sont les coréens et les japonais lorsqu’il s’agit de vendre nos films dans leur pays.
Cela va nous conduire à analyser les choix de couleur, d’image et de mouvement qui nous renseignent sur les différences de perception d’un même film d’un bout à l’autre du monde. A chaque pays son public, dont les goûts varient, mais à chaque pays également son histoire chromatique et donc une interprétation différente des couleurs. Il est donc naturel qu’une affiche varie d’un pays à un autre. Vous voulez savoir comment vendre un film français en Corée ? Voilà quelques exemples.
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Premier constat : Les couleurs sont des idées qui évoluent en fonction du temps et de l’espace. Le rouge par exemple n’évoque pas les mêmes choses dans l’antiquité qu’au Moyen âge, et au XXIème siècle il est perçu différemment en France et au Japon. Voyons donc premièrement comment les différentes interprétations des couleurs influencent directement les visuels des affiches de films.
Commençons par l’occident. Le bleu est la couleur préférée des occidentaux. Mais attention, le bleu revient de loin. Après avoir été dévalorisé et vulgaire pendant l’antiquité, il devient successivement la couleur de Dieu, de l’honnête chrétien, des rois de France, des romantiques, évoquant le rêve, l’infini, la mélancolie (le blues). D’abord une couleur féminine puis une couleur masculine, une couleur chaude puis une couleur froide (et même très froide, plus froide que le vert et le blanc, en attestent les boites de Tic-tac). Autrement dit, après avoir été à peu près tout et n’importe quoi, le bleu devient finalement au XXème siècle en Occident la couleur la plus consensuelle, la plus neutre, la moins agressive, celle des organismes internationaux (UE, ONU, UNESCO). Si bien que dire qu’on aime le bleu aujourd’hui ne dit plus rien de notre personnalité.
Dès lors, très logiquement, on constate que le bleu domine les affiches des films français et plus largement des films occidentaux :
« Affiche de films français » sur Google
Mais cette domination ne nous saute pas aux yeux, le constat n’est pas choquant. Au contraire, ce bleu, nous sommes habitués à y baigner. Il nous réconforte, ne nous heurte pas, il passe inaperçu.
Regardons désormais ce qu’il en est en Corée :
« Korean movie posters » sur Google
Cette fois, le constat est beaucoup plus frappant : le noir est omniprésent. Sans surprise, les couleurs préférées des japonais et des coréens sont le blanc, le rouge et le noir.
Dès lors que l’on a constaté ces différences culturelles, il est intéressant de se pencher sur les changements qui s’opèrent sur les affiches des films lorsqu’ils sont exportés à l’autre bout du monde. Quels changements chromatiques ? Quels types d’image sont mis en avant ? Sous quel angle est envisagé le film d’un pays à l’autre ?
- Les changements chromatiques
Snowpiercer ou Le Transperceneige nous fournit un exemple assez frappant d’inversion chromatique. Adaptation d’une BD française en noir et blanc (crée par Jacques Lob et Jean-Marc Rochette), réalisé par un metteur en scène coréen (Bong Joon-ho, à qui on doit aussi The Host ou Memories of murder), tourné en anglais avec des acteurs (majoritairement) américains, le film très cosmopolite a été médiatisé aussi bien en occident qu’en Asie.
France et Corée
Le film est chromatiquement basé sur l’opposition entre le blanc et le noir. A l’extérieur du train ,l’immensité blanche de la glace. A l’intérieur, la noirceur des wagons, que ce soit la misère et la saleté de la queue de train, aux boites de nuit et autres aquariums des wagons de tête. Le film reprend ainsi l’univers chromatique de la BD en noir et blanc.
« En ce monde clos et cloisonné, les nantis tout comme les damnés n’ont pour seul et unique horizon que les parois de leurs wagons » Beauté.
En tant qu’occidentaux, cette opposition nous parle de façon assez évidente. L’espoir se trouve à l’extérieur du train, dans le blanc, c’est-à-dire vers la lumière. L’opposition blanc/noir nous ramène aux origines dans de nombreuses mythologies. Au départ il n’y a que du noir puis la lumière apparaît, que ce soit dans la Genèse ou avec le Big-Bang. La peur des humains consiste par la suite à retomber dans ce noir primitif. Un autre événement fondateur de cette opposition entre le noir et le blanc est l’imprimerie. Cette nouvelle technique façonne les représentations des occidentaux, instaurant le couple noir et blanc comme l’opposition chromatique par excellence (cf. les jeux d’échecs). Le couple noir et blanc s’oppose alors même au monde des couleurs (dans la photographie, au cinéma). L’affiche occidentale s’appuie donc sur ces contraires, mais avec un blanc inquiétant, le blanc de Shining, qui intègre les significations du noir, c’est-à-dire de l’étrange, du fantomatique, de la mort, ou du moins de l’absence de vie.
Au contraire dans la culture asiatique, le noir ne s’oppose pas au blanc, son contraire est le rouge. Or on constate que les affiches coréennes sont dominées par le noir et le gris, et ne mettent pas en avant le blanc neigeux. Au lieu de se focaliser sur le train, elles mettent les acteurs au premier plan. Quand l’affiche occidentale cherche surtout à signifier le concept du film, l’idée du train, qui nous en dit déjà beaucoup sur l’histoire du film, les affiches coréennes se situent dans les wagons et s’appuient sur l’idée d’enfermement, sur le noir du souterrain. L’affiche se place de plus dans la tendance dominante en Corée qui consiste à faire des affiches où les teintes noires, grises et verdâtres dominent. Le film apparaît donc comme Coréen, pas comme étranger. On va le voir, le choix des couleurs permet de différencier les films occidentaux des films asiatiques.
Il arrive que les couleurs des affiches viennent signifier le caractère français du film, ou francophone, ou du moins non asiatique. Le cas de Mommy de Xavier Dolan est de ce point de vue intéressant :
Affiches coréennes
Les affiches coréennes cherchent avant tout à mettre en avant l’esthétique du film. Elles soulignent la qualité formelle du film, l’image au profit de l’histoire. Fait surprenant, elles reprennent le format carré de la première partie, tout en modifiant les couleurs. Le pastel canadien détonne alors au milieu du sombre coréen, et vient signifier l’occidentalité de Mommy. L’univers chromatique est d’ailleurs très différent de celui du film, et donc de celui de l’affiche française :
Les teintes jaunes et vertes amènent un aspect inquiétant, et le plan très rapproché est étouffant. Il marque l’enfermement. Au contraire le pastel des affiches coréennes évoque la fraîcheur, les photographies sélectionnées insistent toutes sur l’idée de mouvement. Enfin elles sont en extérieur, on peut y voir le ciel, un rayon de soleil, il ne s’agit plus du tout d’enfermement, mais au contraire de liberté et d’évasion.
De façon plus simple, certaines affiches de film français se parent donc étrangement de bleu en Asie, alors même que leur version française n’en comporte pas. Ce procédé permet de différencier le film occidental du film coréen.
France et Japon pour De Rouille et d’os, et France et Corée pour Intouchables
- Le choix de l’image : De la mise en avant de l’action à la mise en avant de l’esthétique
Dans la même logique de différenciation, les affiches des films français auront souvent une esthétique plus léchée que celle des films asiatiques. Cela nous renseigne sur la façon dont sont perçus les films européens en Asie. Ils y sont vus comme des films d’auteurs, des films avant tout esthétiques, pas des films d’action ou de simple divertissement. Un bon exemple serait le cas de Léon de Luc Besson :
Dans l’ordre : France, USA, Japon.
On voit très nettement que les affiches françaises et américaines s’appuient sur le personnage du serial killer, et particulièrement l’américaine avec le O en cible. L’accent est mis sur le dynamisme, avec des plans serrés, la ville en fond, les reflets dans les lunettes et particulièrement le halo de lumière dans l’affiche américaine. Ce sont des affiches de films d’action. Au contraire l’affiche japonaise fait le choix d’une photographie qui représente les deux personnages serrés l’un contre l’autre, insistant donc sur l’émotion et la relation sentimentale entre les deux héros. Elle associe à ce choix d’image un changement chromatique et un flou dû à la fumée, d’où une image au rendu beaucoup plus artistique que les affiches occidentales. En Asie, Léon, avant d’être un film d’action, est surtout un film français, donc un film d’auteur.
Autre exemple : Les Amants du Pont Neuf de Leos Carax. Ici, nous ne sommes pas face à un film d’action donc la différence est moins choquante. Les affiches coréennes insistent sur l’aspect esthétique du film en choisissant des photographies du film, sans mettre en avant les visages des acteurs. Encore une fois, elles insistent sur l’émotion et sur la beauté. Au contraire, l’affiche française occulte cette partie, préférant s’appuyer sur une illustration, avec le symbole du cercle et le mouvement des personnages qui renvoient à l’action, à un dynamisme, et donc à l’histoire plus qu’à l’image.
Corée et France
Le passage d’une culture à une autre entraîne donc des changements chromatiques, mais aussi des changements de perception du film. Les changements de couleurs vont permettre de s’adapter au public étranger qui n’associe pas chaque couleur aux mêmes idées que les occidentaux, mais aussi de distinguer le film occidental du film asiatique. De plus, les images choisies vont permettre de renvoyer une image différente du film, déplaçant le curseur de la mise en avant de l’esthétique à la mise en avant de l’histoire et vice versa. Si c’est le cas de l’Occident vers l’Asie c’est aussi le cas bien sûr dans le sens inverse de l’Asie vers chez nous. Quittons nous donc sur un exemple : The Chaser de Na Hong-Jin. Alors, thriller de divertissement ou film d’auteur à fort potentiel cannois ?
France et Corée
Cannelle Favier