Un appel en plein milieu de la nuit. Accident de car tombé dans un ravin. De nombreuses victimes, quelques blessés. Olivier Gourmet interprète Bertand Saint-Jean, Ministre des transports dans un gouvernement dont la couleur politique nous est inconnue. Celui-ci doit se rendre immédiatement sur place.
En prenant comme point de départ ce tragique événement, L’exercice de l’État, réalisé par Pierre Schoeller et sorti le 26 octobre 2011, est un film qui nous entraîne dans l’urgence de l’activité politique. Dans cette odyssée contemporaine, les obstacles s’enchaînent très vite. Entre réformes inassumées et clivages politiques au sein du cabinet du ministre, le spectateur aperçoit la lutte permanente des pouvoirs, qui est quotidienne dans un gouvernement de la Vème république. La première partie du film se confond avec un documentaire, et le spectateur se retrouve à assister à un déferlement d’informations où les urgences politico-médiatiques s’enchaînent, sans une once de passion dramatique. Nous accompagnons le ministre Bertrand Saint-Jean, impuissant, dans une sorte de quotidien blasé, construit par les luttes d’ego des hautes sphères impalpables du jeu politique.
C’est en deuxième partie du film que survient le point de rupture attendu (et je l’avoue, espéré). Se révèle alors l’étrangeté cinématographique de ce film, qui confirme sa nomination dans la sélection Un certain regard du Festival de Cannes en 2011. Alors que l’on s’attendait à une énième production visant à nous montrer « l’humanité » des politiques, nous découvrons en réalité la subtilité remarquable d’un film qui joue bien plus sur un registre métaphorique, presque onirique, pour dévoiler une réflexion sur ce qu’est l’exercice du politique. Ici, peut importe les événements, les couleurs politiques et les histoires personnelles des protagonistes. L’Exercice de l’État nous offre en fait une réflexion philosophique, un instrument d’observation du politique. On quitte donc le documentaire sage et l’impuissance monotone du ministre, pour s’introduire enfin dans un triller politique haletant. Ouf !
La communication est dans ce film présentée comme englobante, surpassant le politique lui-même. Du Saint Jean enchevêtré dans les méandres des complications politiques qui se succèdent, il n’émerge que le fragment communicationnel, l’image du politique plus que son action. C’est là le rôle de Pauline (interprétée par Zabou Breitman), conseillère en communication du ministre, qui transforme tout événement tragique en outil de communication au service du pouvoir. La politique, outre la succession d’événements bien réels, semble alors être un jeu totalement déconnecté de la réalité, auquel les protagonistes au pouvoir prennent part. Les citoyens et le politique sont deux entités à part, qui ne se touchent pas. Et la communication y est présentée comme ce médium qui relierait les deux mondes. Il faut sans cesse réagir, requalifier, répondre au plus vite aux événements qui se percutent, et qui dépassent l’homme derrière le politique. Et cette instrumentalisation du ministre, dont la communication se saisit, transparaît par une des phrases de Pauline, adressée au ministre Bertrand Saint-Jean : « Tu n’as pas d’image. Ton histoire reste à écrire. Tu es flou. ».
Dans cet écosystème hostile, Saint-Jean, déstabilisé par ses adversaires politiques, par sa vie intime et par les événements de l’actualité (grèves, accident du car, émeutes en Grèce…), se trouve réduit à une image, à une communication. Il en ressort une atmosphère très particulière, où l’on ressent la déstabilisation de l’homme, son vertige existentiel. La musique de ce film y contribue très largement : à la fois assourdissante, angoissante, elle nous donnerait presque le tournis. Dans cet étourdissement latent, l’homme n’est plus qu’un pantin au service d’une communication autour d’événements divers. La perte de contrôle est aussi exposée dans les rêves démentiels du ministre lorsque, la tête étouffée d’un sac plastique, il chute dans le vide d’un escalier. Ou encore lors du rêve qui constitue la magistrale scène d’ouverture du film, où une femme nue (message de soumission, de vulnérabilité) se jette dans la gueule d’un crocodile (qui symbolise ici le luxe, la puissance vorace, le pouvoir, l’État).
Rien de tel pour finir qu’une parole dite par le ministre Bertrand Saint-Jean résumant parfaitement le propos du film sur la friabilité de l’identité du politique : « Dans la communication de crise la réalité ne compte pas, il n’y a que la perception qui vaille, c’est cette perception qui nous fera marquer des points ou en perdre. »
Mathilde Dupeyron