Esprit de noël, pureté, joie, beauté, émerveillement : autant d’imaginaires associés à la neige dès lors qu’on cherche à lui attribuer une symbolique. Dans la culture occidentale, le blanc est souvent apparenté à une dynamique positive. Chez d’autres, elle peut également présager une ambiance lugubre, synonyme d’hostilité et de claustration, loin des codes qu’on lui associe souvent.
Le film d’horreur : le blanc de la mort et de l’insécurité
Dans la catégorie des films d’épouvante et d’horreur, la neige apparaît souvent comme un ressort dramatique lié à la symbolique de la froideur, de la dureté et de la mort. Elle permet de renforcer l’esthétique de l’horreur et de créer une véritable emphase sur l’épouvante. Abandonnés à eux-mêmes, face à des conditions difficiles, les héros évoluent dans un environnement naturel dangereux et peu propice à leur survie, qu’elle soit physique ou mentale.
Dans 30 jours de nuit, The Thing, ou Morse elle renvoie à un monde habité par des créatures et dans lequel il est difficile de (sur)vivre. The Thing, film de John Carpenter (1982) commence sur une musique pesante. Le premier plan est celui d’un gouffre enneigé, encerclé par des falaises de roches insurmontables. Un tireur en avion tente d’abattre un chien de traîneau. Mais si au début, c’est l’Homme qui traque la bête, cette situation va très vite de se retourner. Cette première idée de cloisonnement annonce donc un retournement funeste pour la suite du film.
Dans un autre film – 30 jours de nuit de David Slade – les personnages se retrouvent en Alaska. Alors qu’une longue période sans soleil commence, des événements étranges sèment le trouble en ville. La neige suffit avec le sang et la nuit à créer un climat d’insécurité extrême.
[Image tirée du film 30 jours de nuit, David Slade, 2007][Image tirée du film Morse de Thomas Alfredson, 2008]
Quant à Morse, si la neige semble y dégager une aura de pureté, elle est pourtant tragiquement liée au mal. Élément naturel dans lequel la créature se sent à l’aise, elle renvoie le personnage principal à sa vie éprouvante, faite de déceptions, de souffrance et de rejet.
De la même manière, Shining parvient très bien à condenser cette symbolique : les premiers plans du films sont des vues panoramiques du Glacier National Park et à la fin, c’est un labyrinthe enneigé qui devient le théâtre d’une course poursuite sordide. La neige est traître : Danny doit prendre le temps de faire demi -tour en marchant dans ses pas pour ne pas être trouvé par son père devenu fou.
Ainsi, dans de nombreux films, la neige peut être associée à l’univers du méchant. Et pas besoin pour ça d’être classifié dans le genre de l’horreur : dans Star Wars V, HOTH est une planète entièrement composée de glace sur laquelle se cachent les ennemis des rebelles. Or, après quelques escarmouches, Yann retrouve Luke et ouvre le corps d’un Tauntaun pour l’y mettre et le protéger du gel et de la mort.
Neige et poésie : symbolisme de l’éphémère et de l’amertume
Même lorsque la neige revêt un aspect poétique, comme c’est le cas dans Mémoires d’une Geisha, le spectateur ne peut s’empêcher d’y voir une signification implicite. Elle joue, au sein du spectacle donné par Chiyo, le rôle d’un symbole qui représenterait la pureté de la Geisha, sa fragilité et sa sensualité. Mais relativement au personnage de Chiyo, la neige fonctionne comme un miroir de dureté, de froideur et d’abandon, qui caractérisent son enfance et sa vie difficile. Ainsi, la neige sert à dénoncer les dures conditions de la vie d’une geisha, sa soumission et sa mélancolie. Dans sa danse, elle s’en protège d’abord avec l’ombrelle, puis fini par se débattre sous la neige : mais la fuite est impossible.
Loin de la thématique du renouveau, la neige symbolise l’idée d’enfermement, l’impossibilité de sortir de cette condition et l’obligation d’y faire face dans l’attente de jours meilleurs. Dans cette scène, la salle de spectateurs baigne dans une lumière orangée voire rougeâtre diffusée par les bougies alors que Chiyo est inondée de bleue. Beauté glaciale, rare, pure mais éphémère, Chiyo devient l’objet de toutes les convoitises. Mais ici, ce que marque le contraste prononcé entre le bleu et le rouge, la neige et le feu, c’est que si la pureté de la geisha est belle car unique, elle est pourtant faite d’amertume et d’inexorabilité. Finalement, elle est dans un monde propre duquel elle ne peut échapper.
[Image tirée du film Mémoires d’une geisha de Rob Marshall, 2005]
La neige comme élément naturel : le spectacle de l’immensité
Enfin, vue comme élément naturel ravageur, la neige apparaît souvent comme un objet propice à l’annihilation de tout espoir. Que ce soit dans des films apocalyptiques comme SnowPiercer de Bong Joon-ho (2013) ou Le Jour d’Après, film de Roland Emmerich (2004), la situation est telle que les personnages semblent dès le début résignés à l’humilité et à la capitulation. Dans le premier, l’humanité a été dévastée par une chute brutale des températures. Les survivants vivent dans un train qui circule inlassablement autour de la terre, au sein d’une société hiérarchisée. Alors que les plus pauvres sont entassés comme des bêtes au fond du train, l’idée de révolte ne semble pas acceptable – du moins pas encore – et la situation semble être vouée à demeurer insoluble.
A l’inverse, dans Le Jour d’Après, la catastrophe n’est pas déjà établie : elle commence au début du film. Un énorme dérèglement climatique provoque des catastrophes apocalyptiques (tornades à Los Angeles, grêlons géants à Tokyo et New York gelée par une inondation glaciale). Quelques survivants, sans moyen de communication, vont tenter de survivre dans la bibliothèque municipale de New York, enterrée sous un bloc de glace. Pris au piège, les personnages ne peuvent qu’attendre, et tenter de vaincre le froid par la chaleur humaine.
[Image tirée du film Les Chemins de la liberté de Peter Weir, 2010]
Dans une mesure plus pragmatique, d’autres films choisissent d’utiliser la neige comme un renvoi à un monde hostile. Dans Les Chemins de la liberté par exemple, les éléments naturels tiennent une place cruciale puisqu’il s’agit là d’un long périple dans lequel s’engagent un petit groupe de personnages, tentant d’échapper à l’oppression. Ici, la neige renvoie à une dure réalité : celle de la vie des prisonniers dans les camps de travail sibériens. Parcourant 10 000km, il doivent affronter des climats extrêmes, de la toundra sibérienne glacée, à l’Himalaya en passant par la fournaise du désert de Gobi. Finalement, la neige s’allie au désert dans la construction d’un monde hostile qu’il faut traverser pour accéder à la liberté tant attendue.
Quant à Vertical Limit, la neige comme élément naturel montré dans son immensité, écrase l’homme dans sa petitesse en le renvoyant à sa finitude et à ses capacités limitées. Que ce soit dans Snowpiercer, Le Jour d’Après, comme ici, il s’agit toujours de confronter l’homme à ses prétentions démesurées et à lui faire éprouver la difficulté de la survie.
[Image tirée du film Vertical Limit, de Martin Campbell, 2000]
Ainsi, que ce soit sur le plan symbolique ou sur le plan pratique, la neige apparaît dans certains films comme une ressource formidable lorsqu’il s’agit de l’utiliser comme un catalyseur de peur, de captivité et de danger. Obstacle que les personnages doivent franchir et symbole d’une difficulté qu’ils doivent anéantir, la neige est donc un véritable inhibiteur de significations pour la création filmographique, qu’elle renvoie au bon comme au mauvais !
Mélanie Laffiac