Et vous, vous êtes Pour ou Contre “Quai d’Orsay”?
1) Si vous êtes Contre, laissez-vous convaincre par le Pour d’Aurélien Baraffe:
Quai d’Orsay, un film à stabiloter sans modération !
2) Si vous êtes Pour, peut-être que vous changerez d’avis en lisant le Contre de Chloé Letourneur:
Le Quai d’Or … sèche.
LE POUR. Quai d’Orsay, un film à stabiloter sans modération !
On ne présente plus Bertrand Tavernier, habitué des écrans depuis plusieurs décennies. On ne peut d’ailleurs pas dire que la comédie grand public soit son genre de prédilection. Mais l’opportunité d’adapter l’immense succès de la bande-dessinée Quai d’Orsay d’Abel Lanzac alias Antonin Baudry et Christophe Blain était trop belle : on se souvient encore aujourd’hui du petit séisme provoqué par Baudry, ex-conseiller de Villepin souhaitant montrer l’envers du décor doré et chatoyant de l’image politique.
Le scénario épouse donc celui de l’oeuvre originale : Arthur Vlamynck, joué par Raphaël Personnaz, est nommé nouvelle plume du ministre Alexandre Taillard de Worms, incarné par un Thierry Lhermitte tout en fougue. Evidemment, si son nom diffère, le personnage est très fortement inspiré par le Dominique de Villepin ministre des affaires étrangères durant les semaines précédant son fameux discours contre l’intervention militaire française en Irak.
Ainsi, quoi de mieux que de tourner au Quai d’Orsay afin de montrer plus efficacement encore la vie l’architecture de ce lieu à la fois immense et pourtant exigu ? En cela, Tavernier excelle : si le ministre est souvent représenté seul dans son immense bureau, l’effervescence de ses conseillers se croise sans cesse dans des étages labyrinthiques et des couloirs où il semble impossible de se croiser sans se bousculer à la hâte. Le film repose d’ailleurs presque entièrement sur ce contraste permanent entre cette personnalité théâtrale qu’est Taillard de Worms et la réalité d’un travail harassant et permanent du ministère.
En cela, Niels Arestrup joue son rôle de directeur de cabinet à la perfection : allégorie du travailleur de l’ombre par excellence, c’est lui qui doit gérer à n’importe quelle heure du jour et de la nuit les incidents qui peuvent survenir dans le cadre de la diplomatie. Il est amusant de constater qu’il est d’ailleurs toujours entre sommeil et réveil dans son bureau : dès qu’il s’assoupit cinq minutes dans son fauteuil, quelqu’un vient le réveiller, qu’il soit quatre heures du matin ou non. Sa résignation face à sa condition contre celle du ministre est très drôle et il semble s’amuser lui-même de ce ministre qui finalement ne fait que brasser de l’air.
Cette impression de brassage d’air est d’ailleurs clairement mise en scène à chaque fois que Taillard de Worms entre ou sort d’une pièce : feuilles qui volent, portes qui claquent… Lorsqu’il se déplace, c’est tout le ministère qui se déplace avec lui jusque dans ses fondations ! Le ministre n’est de toute façon lui-même qu’un immense contraste ambulant, toujours occupé à ne rien faire et à rabrouer ses conseillers dès qu’ils s’octroient une pause souvent bien mérité.
Finalement, le spectateur lui-même est saisi de ce contraste, et de ce doute profond qui ne cesse d’évoluer tout au long du film : doit-on finalement adorer ou détester Alexandre Taillard de Worms, ce cliché du politicien qui n’est rien sans ses conseillers, qui est parfois odieux sans pour autant perdre un petit côté attachant ? C’est alors tout le fondement de la communication politique qui nous rattrape au tournant, car n’apprécie-t-on pas seulement l’image épurée d’une personnalité que toute une institution travaille à diffuser chaque jour, chaque heure ?
Une chose est sûre, je n’ai en revanche pas eu le moindre de doute quant à la qualité de ce dernier Bertrand Tavernier : impossible de rester de marbre devant un Thierry Lhermitte qu’on n’avait sûrement plus connu si drôle depuis Le Dîner de Cons. Pari amplement réussi pour cette comédie politique cynique et désopilante à souhait.
Aurélien Baraffe
ET LE CONTRE. Le Quai d’Or … sèche.
Fuyez, COUREZ pendant qu’il est encore temps ! Ou, si vous cherchez simplement une salle confortable et chaude, dans laquelle faire un petit somme, n’hésitez surtout pas. Le Quai d’Orsay est résolument, à mon sens, LE film à ne PAS aller voir cette année.
Et pourquoi ça ?
BlaBlaBla et Re-Bla
Oui, dans ce film, on parle, on parle, on ne cesse de parler, mais en dit-on pour autant quelque chose ? Rien n’est moins sûr. Les dialogues sont longs, très longs, les phrases s’étendent sans rythme, sans beauté, ni même une once de pertinence – pour un film sur le langage, c’est tout de même un comble ! En plus de se perdre dans des discussions dont on ne comprend absolument pas le sens, ni même l’intérêt. Les blagues, non seulement, ne font pas rire, mais ne cessent d’être répétées à l’identique. Allez Blague n°1, c’est parti ! Oh et puis pourquoi pas la répéter 10 minutes après ! Oh et puis 20 minutes après tant qu’à faire ! A croire que le scénariste a imposé un revenu à la blague, et que les producteurs n’auraient pas manqué de revoir le salaire à la baisse.
Des acteurs… Peu servis par la Mise en Scène
On ne laminera guère ici un jeu d’acteurs auquel le scénario ne laissait pas une grande possibilité de performance; bien que certains ne témoignent pas d’une grande finesse – la petite amie du personnage principal s’en sort à merveille dans la catégorie de la médiocrité. Les rôles, de manière globale – et on l’espère, par choix de mise en scène – sont exagérés au possible, jusqu’à la caricature. Mais ce n’est pas parce que l’on adapte une BD au Cinéma que l’on doit effacer tous les traits un peu subtil d’un personnage – en témoigne une certaine Adèle, qui, dans le registre, s’en est tirée merveilleusement.
Le Décor, révélateur d’une dénonciation politico-social quelque peu réductrice
Filmer les représentants de l’Etat et membres du gouvernement semble absolument devoir restreindre, ici, l’espace de “jeu” au Quai d’Orsay, dans lequel on bien doit passer près d’1h30. Puis, tiens, dans un avion, c’est bien ça un avion pour représenter la politique, pas cliché du tout et fondamentalement utile au film ! Ah et tant qu’à faire, on ne va pas manquer de caler un petit jogging au milieu de tout ça, histoire de montrer quelque chose de pertinent, original, et utile à une satire de qualité. Ah et oui ! Il ne faut pas oublier que le personnage principal – “Responsable du Langage” – n’est guère riche (après tout, les diplomates ne gagnent pas grand chose, c’est bien connu). Donc on va le placer dans un tout petit appartement, avec pleins de bazar; oui, parce que sa fiancé est tout de même instit’, il faut surtout réduire l’espace et ne pas mettre trop de goût dans la décoration.
Et les dénonciations politiques, on en parle ?
Petite typologie des critiques politiques du film, qui en révèlent toute la profondeur et l’utilité :
– La prise de parole des politiques, décrite comme abstraite et superficielle. Oui, certes, mais bon, il y a des limites. Et bien que les représentants politiques soient parfois un peu pompeux, ce n’est pas un prétexte pour ennuyer les spectateurs pendant 2 heures. Certes, il y a du mensonge dans les annonces politiques, certes, il y a quelque chose de confus dans leur fonctionnement, mais on atteint ici une hyperbole telle que la dénonciation ne marche plus. Et une petite nuance, par exemple, avec un discours politique intéressant, et un bon orateur quelque part, n’aurait pas été de trop, non ? Ca existe, si si, je vous jure !
– Les femmes peu présentes au pouvoir, et conformes à une bonne grosse description misogyne comme on les aime. Alors les femmes, on les voit tout simplement au bureau, comme secrétaires. Bon, passe encore (on n’est pas très très loin de la réalité). Mais le fait que la SEULE Madame ayant une réelle responsabilité politique dans le film soit une vraie P…este, exhibant ses atours – bien évidement – afin de séduire ces messieurs, se déshabillant en pleins milieu du bureau, la porte ouverte, pour satisfaire les fantasmes des bons gros spectateurs passionnés de politique, me paraît un peu limite. Bien sûr, inutile de vous dire que la petite amie du personnage principal est, quant à elle, gentille, douce, ne s’énerve jamais, ne semble pas avoir de réelles opinions politiques, sait où se trouvent les habits de son bien aimé et l’attend sagement à la maison, après ses journées de travail, pendant que Monsieur se tue à la tâche.
– Tiens, et si on calait une petite expulsion de la France tant qu’à faire ? Une écolière qui n’aurait pas ses papiers par exemple, ce serait sympatoche. Coup de chance pour le réalisateur, ça tombe pile poil pendant l’affaire Leonarda. Quel courage ce réalisateur, quel homme ! Oser aborder des sujets si polémiques avec tant de franchise et de profondeur, non vraiment, j’applaudis des deux mains.
Bref, on pourrait longuement continuer à épiloguer, le constat resterait le même. Vraiment, allez faire les marchés de Noël plutôt que de vous attarder au cinéma, si c’est le seul film qui vous est proposé (je vous assure, les marchés de Noël ont déjà commencé !).
Mais il y a des bons points dans ce film hein ! Ne voyons pas tout en noir. Comme, par exemple … L’affiche ?
Chloé Letourneur.
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