Martin Scorsese est à l’honneur jusqu’en février à la Cinémathèque. L’occasion de découvrir ou d’en apprendre plus sur ce réalisateur américain d’origine italienne, né en 1942 à New-York, et devenu une référence incontournable à Hollywood.
La première porte d’entrée, c’est bien sûr ses films projetés jusque début décembre. Si cette rétrospective offre l’opportunité de pouvoir enfin regarder sur grand écran certains de ses longs-métrages cultes– Les Affranchis, Taxi Driver, Casino, pour n’en citer que quelques uns-, c’est aussi et surtout l’occasion de découvrir ses courts métrages réalisés dans sa jeunesse, certains alors qu’il n’était encore qu’étudiant en cinéma à l’université de New York.
La cinémathèque projette ainsi, It’s Not Just You, Murray, What’s a Nice Girl Like You Doing in a Place Like This? Et The Big Shave. Les deux premiers sont des films en noir et blanc, qui traitent leurs sujets respectifs (l’ascension et la chute d’un bootleger pendant la prohibition, l’obsession d’un homme pour une photo de pêche) d’un ton très décalé et fantaisiste. The Big Shave est très différent, aussi bien dans l’esthétique (usage de la couleur, de plans très rapprochés) que dans le ton. Un homme s’y rase, seul face à sa glace : alternance de plans sur son visage, sur le lavabo, sur ses mains qui effectuent machinalement ce rituel matinal . La scène est routinière, banale et l’espace d’un instant, on se demande si l’on va en rester là. Et puis la première coupure arrive, le sang surgit, doucement d’abord, puis à flot, au fur et à mesure que les lacérations se multiplient sur la gorge, le menton, les joues . L’écarlate tranche sur la couleur chair, mais aussi et surtout sur le blanc du lavabo, lorsque le sang commence à se mêler à l’eau. Ce court métrage d’à peine six minutes évoque bien sûr la scène d’anthologie de Psychose (Scorsese est un grand admirateur de Hitchcock), mais il possède une identité qui lui est propre ; il provoque dans tous les cas une réaction viscérale chez les spectateurs, très palpable dans l’ambiance de la salle.
Plus léger sinon, le clip de la chanson Bad, de Mickael Jackson, que vous avez probablement déjà vu mais dont vous ignoriez peut-être qu’il avait été réalisé par Scorsese, est également projeté. Sur grand écran, ça claque pas mal.
(Bad, Michael Jackson)
Mais l’événement, c’est aussi l’exposition créée pour l’occasion par la Cinémathèque, présentée comme la première sur le sujet, et qui a été constituée à partir d’éléments empruntés à des collections privées, en premier lieu celles du réalisateur lui-même.
Après la première salle, qui projette un mashup de différents films de Scorsese – (Raging Bull, La Dernière Tentation du Christ, etc), le début de l’exposition nous plonge dans la famille de Scorsese (et tout particulièrement sa « mama », actrice dans ses premiers films), son enfance, mais aussi et surtout la façon dont les liens familiaux sont traités dans ces films.
En effet, l’approche choisie pour présenter l’œuvre du réalisateur est thématique : l’exposition est ainsi découpée entre les différents thèmes présents dans l’œuvre de Scorsese – la famille donc, mais aussi la religion, la ville de New- York, le cinéma… -, preuves visuelles à l’appui. L’intérêt de ce parti pris est qu’il permet d’embrasser l’ensemble de la filmographie du réalisateur, sans trop frustrer ceux qui ne connaissent pas ou peu ou le réalisateur, puisqu’ils ont ainsi l’occasion de découvrir les sujets phares de son œuvre et de se familiariser avec son esthétique .
La scénographie de l’exposition est classique : exposition de nombreux objets, qui ont traits à la vie personnelle du réalisateur mais aussi et surtout aux processus de création de ses films – scripts annotés, photographies de tournage , croquis de décors et de costumes (à voir absolument, ceux de Gangs of New York, sublimes)… – ainsi que projections d’extraits pour appuyer le propos. Une très bonne initiative des exposants est la création d’une maquette de la ville de New York, où sont indiqués par des fils rouges les différents quartiers où se situent les films de Scorsese (Little Italy, bien sûr, mais pas seulement) – l’occasion de visualiser autrement le territoire où se déroulent nombre de ses intrigues.
L’exposition ne se targue pas vraiment d’analyser de manière approfondie la façon dont Scorsese conçoit et filme ses longs-métrages, à l’exception d’une scène précise de Raging Bull , dont on nous présente le story-board. Surprise : même une scène de combat de boxe peut cacher une nouvelle référence à Psychose.
(Robert de Niro dans Raging Bull)
Une exposition plutôt bien menée en somme, idéale pour avoir une vue d’ensemble de l’œuvre de Scorsese, mais qui frustrera peut être les cinéphiles très passionnés du réalisateur, qui courent le risque de ne pas y apprendre grand chose.
Estelle Naud