Par le détour fictionnel, Alexe Poukine déconstruit les idées reçues sur le viol en mêlant expérience individuelle et récit à plusieurs voix, pour offrir un film résonant et essentiel.
nue lui confier comment, à 19 ans, elle a été violée de façon répétée par un jeune homme de son entourage. En parlant de ce témoignage à ses proches, Poukine se rend compte que beaucoup de ses amies ont vécu une expérience semblable. Poussée par la certitude que l’histoire d’Ada et celle de ses amies ne constituent pas de simples drames isolés mais font partie intégrante d’un phénomène global aux causes sociales et structurelles, Alexe Poukine décide de déconstruire par la fiction le sujet du viol et les nombreuses préconceptions qui l’entourent.
Rendre partageable une expérience fondamentalement et intimement destructrice
Sans Frapper est un film brut, poignant et très juste, qui imprime le spectateur d’un lourd sentiment. Mélangeant jeu et témoignages, expérience individuelle et récit à plusieurs voix, il offre une mise en abîme du récit d’Ada à travers le récit de plusieurs protagonistes, à la fois comédiens et victimes, tous différents – en terme d’âges et de genre – et pourtant si semblables, reliés par le lien qu’ils ont avec son histoire.
La réalisatrice aborde et déconstruit le sujet du viol de manière innovante, en demandant à Ada d’écrire son expérience et à plusieurs personnes d’interpréter son histoire. De se mettre littéralement à sa place. Si bien que le spectateur aussi, suit le même chemin que les personnages et Ada : vous ne savez pas tout d’abord à qui et à quoi vous êtes confronté, vous ne savez pas ce que vous ressentez, vous peinez à mettre des mots sur ce que vous traversez – le terme de « viol » n’apparaît qu’assez tard dans le film.
“On peut dire ce qui ne te tue pas te rend plus fort, mais il y a des expériences qui te font désapprendre. Tu désapprends le lien, le désir, la confiance. » – Ada, Sans Frapper
Une narration subtile, où le récit individuel devient collectif
Le récit à plusieurs voix est organisé subtilement : la narration est découpée en une série d’interviews face caméra, où les personnages racontent l’expérience d’Ada, puis réfléchissent à la manière dont elle fait écho à la leur. Son récit se mêle ainsi à d’autres récits, chacun s’emparant de ses mots et y mettant un peu du sien, se laissant lentement gagner par l’histoire d’Ada pour aller vers son propre vécu, ses douleurs et ses hontes. Deux personnages masculins se rendent ainsi compte qu’ils ont eux-mêmes commis un acte violent, bien qu’ils fussent en couple avec la victime.
Déconstruire nos idées reçues
Une mise en abîme pertinente, qui conduit le spectateur à s’interroger lui aussi sur son propre rapport à la sexualité, au consentement et à sa vision du viol. Par-là, le film lève le voile sur la culture du viol, c’est-à-dire l’ensemble des idées reçues autour des violences sexuelles, de la victime et du violeur.
« L’histoire d’Ada est horriblement banale et paraît extraordinaire à beaucoup de gens, justement parce qu’elle s’éloigne totalement de l’image fantasmée qu’on a du viol. » – Alexe Poukine
Sans Frapper est un film nécessaire et éclairant, où le récit individuel devient collectif, où les mots d’Ada résonnent en nous et nous amènent à nous interroger sur notre rapport à l’autre et à nous-même. Un documentaire qui déconstruit nos idées reçues, pour frapper fort et juste.
En salles dès le 9 mars 2022.
Eva Le Moine