Walter Mitty est un homme ordinaire à la vie ordinaire, mais de celle-ci va émaner une intrigue extraordinaire. Il n’est pas question de magie ou de fantastique, mais de rappeler que si l’homme construit un quotidien, il ne tient qu’à lui de s’en échapper, lui qui est essentiellement libre. L’aventure de cet homme serait-elle une ode à la liberté? Dans une ambiance particulièrement morose de plan de licenciement, Walter semble bouleversé dans son quotidien au sein de la rédaction du magazine Life où il est développeur de photos. Dans son bureau sombre fait d’archives et de bacs de révélation, il fait la paire avec son partenaire photographe de terrain, homme d’aventure et de danger au service de la photographie qu’il idéalise inconditionnellement. Des négatifs arrivent dans son bureau, parmi eux, l’ultime photo, pour la dernière couverture du magazine avant sa numérisation, mais cette photo s’avère introuvable, et Walter fait un surprenant voyage pour la retrouver.
L’extraordinaire du quotidien
Mais l’extraordinaire de cette fiction tient à son emprise sur le réel. Tout semble vrai mais fragile chez cette homme que l’on voit dans la première scène essayant de contacter sa jeune collègue de bureau sans y arriver… sur un site de rencontre. Le contraste entre l’extravagance de notre divertissement et la banalité d’un quotidien est critiqué en filigrane ici : de longues journées de travail difficilement subies laissent place à des soirées de divertissement vide et dont l’ampleur de l’euphorie contraste avec l’affligeante monotonie du quotidien. Ce film veut en finir avec cette vision de la journée de travail à la Fight Club, et montre que le vrai héros se cache même en ce travailleur depuis 16 ans développeur de photos, un anti-héros par excellence.
Une esthétique du rêve sans voix
Malgré sa vie d’apparence monotone, Walter a l’étrange capacité de se perdre en des rêveries éveillées, depuis tout petit. Quoi de plus anti-professionnel et d’immature que ces rêveries éveillées, vous amènerait à penser cette course à la productivité de notre temps? Pourtant, la fiction amène le lecteur à progressivement abandonner ces prescriptions modernes. Les rêveries sont si bien menées par le scénario que le spectateur se demande quelques minutes si l’intrigue principale n’en n’est pas une de plus. Mais non, pour la première fois il vit sa rêverie, retrouve la vie exaltée qu’il connut dans sa jeunesse de jeune surdoué du skateboard à crête iroquoise, et cela rien qu’en dévalant une pente de 17km pour atteindre le pied d’un volcan… en skateboard. Ainsi la voix s’efface : la parole laisse place aux paysages qui laissent sans voix, aux souvenirs qui se passent de mots et aux actes sans discours. Comme prendre un avion en aller simple pour le Groenland, sans en parler à personne. Voilà de nouveau un élément de contraste avec les films contemporains qui en disent trop. Dans ce langage si bien mesuré, le silence est plus que d’or puisqu’il est langage du regard et de la pensée, le langage de la photographie. L’unique scène de Sean Penn, qui joue l’associé photographe, sur les hauteurs de l’Himalaya, parachève le tableau de cette parole si précieuse.
Finalement, Ben Stiller nous avait habitué à rire sur des sujets légers, parfois enfantins, il prouve pourtant dans ce film, son film, qu’il est peut-être un de ces grands acteurs qui peuvent jouer la comédie autant que le meilleur de la fiction philosophique. N’aurait-il pas écrit le rôle qu’il attendait ? Cela semble bien le rôle rêvée de Ben Stiller.
Amaryllis Rodriguez