Luc Moullet, avant tout critique dans Les Cahiers du Cinéma, se place derrière la caméra, et fait du court, du long, et surtout du court : il commence avec Un steak trop cuit, et continue alors, de façon toujours aussi drôle et sans hésiter à se présenter devant la caméra, avec par exemple son Aventure de Billy the Kid, sûrement son plus grand succès (relatif).
Moullet, c’est la Nouvelle Vague que l’on connait moins, mais c’est pourtant, quand on s’y trempe, une partie à l’humour décapant. Regardons cet Essai d’ouverture de 1988 : le rythme lent d’une voix-off inexpressive nous laisse regarder dubitatifs les différentes techniques loufoques essayées par un personnage qui s’applique à ouvrir une bouteille de Coca Cola.
Décors on ne peut plus épurés, jeu d’acteur au minimum, tout repose alors justement sur ce choix étrange : tout nous ôter et nous laisser bercer par une voix. Des commentaires étranges nous font regarder pendant presque 15 minutes les techniques totalement absurdes d’un personnage pour ouvrir sa bouteille de Coca (chalumeau ou congélateur) et l’Histoire incroyablement plate de la première ouverture d’une bouteille de Coca. Les commentaires, et la situation absurde d’une difficulté évidemment inexistante sont tout l’intérêt du cinéma de Moullet : film dépouillé de tout, sauf d’un personnage père d’un humour qui n’en est que d’autant plus évident. Skorecki le dit très simplement : “sublime de drôlerie, de simplicité, de génie timide et décalé“, et c’est alors que se dessine un héritage dont Straub le réclame : Jacques Tati.
Tati, le burlesque. Oui, le comique de l’absurde est présent chez Moullet, le rythme, bien que ralenti par la voix-off, est intense : pas de pause, pas de creux dans l’enchainement insensé des différents gags que sont les différentes techniques d’ouverture. Le burlesque pour Bazin, c’est “le comique de l’espace, de la relation de l’homme aux objets et au monde extérieur” : comment alors trouver plus burlesque que le rapport de l’homme à une bouteille dont il désire le contenu mais ne peut vaincre le contenant ? Le personnage même, incarné par Moullet, homme pataud aux étranges préoccupations, rappelle les personnages à la gestuelle inoubliable des films burlesques que l’on connait tous.
L’humour pince-sans-rire est-il alors tout ce que l’on retient de ce court ? Non, évidemment. Sous cet air léger, Moullet ironise : si la bouteille de Coca est si récalcitrante à l’ouverture, c’est que la boisson, destinée aux femmes et aux enfants, appelle ainsi l’homme de la famille à la rescousse, et harassé par l’effort d’ouverture, il est poussé à consommer une boisson qui ne lui serait pas destinée. On évoque même la société matriarcale du pays producteur.
Moullet est un réalisateur intéressant, parce qu’il regarde, par la lunette de sa caméra, des produits de consommation quotidiens (Génèse d’un repas, 1977), et il n’est pas sans leur donner une lumière propre. L’objet quotidien devient ridiculement étranger, épreuve d’ouverture d’une bouteille impossible, comme la cuisine des Arpel de Mon Oncle (Tati, 1958) est ridiculement absurde, épreuve de maitrise d’une cuisine qui s’emballe.
Claire-Marie Pascal