Nombreuses sont les adaptations de Macbeth de Shakespeare, du Château de l’araignée de Kurosawa, qui avait transposé le drame dans l’univers féodal japonais, en passant par l’adaptation noire et violente de Roman Polansky. L’intemporalité des thèmes explorés par la pièce comme le leïtmotiv de la prédiction performative, ou comment le crime appelle le châtiment… explique pour beaucoup le succès que la « pièce écossaise » rencontre au cinéma.
On se souvient tous de l’intrigue : alors qu’il rentre victorieux d’une bataille, Macbeth rencontre sur sa route trois sorcières qui lui prédisent son avenir : il va devenir roi d’Ecosse. Dès lors, sa femme Lady Macbeth le persuade d’assassiner le roi pour prendre le pouvoir et use de son influence terrifiante pour organiser la machine infernale. Mais une fois le crime commis, les Macbeth sont pris de remords et sombrent peu à peu dans une folie meurtrière et sanglante.
L’exercice de transposer à l’écran une pièce de théâtre relève véritablement du défi. Aussi André Bazin explique que le théâtre est l’art qui offre le moins de marges de liberté au cinéma, étant déjà un spectacle en soi. Pour lui, la difficulté réside dans « la reconversion du lieu théâtral clos par nature en une fenêtre sur le monde », soit en un espace libre et ouvert que seul peut produire le cinéma à travers les hors champs. Mais là réside le talent du réalisateur qui, à partir des conventions du jeu théâtral, parvient à s’émanciper des écueils traditionnels de l’adaptation.
Grand amateur du théâtre de Shakespeare, Orson Welles qui se met lui même en scène dans le rôle principal, livre ici une version expressionniste assez réussie, rendant à la pièce sa dimension baroque et dramatique.
Dès la première scène l’ambiance est dressée, les acteurs récitent des vers de Shakespeare en imitant l’accent écossais, les décors en carton-pâte et les costumes semblent sortis tout droit d’un film SF de série B. Mais loin de toute artificialité le drame de Macbeth se teinte sous la caméra d’Orson Welles d’une esthétique expressionniste digne des meilleurs films de Murnau ou de Fritz Lang. Les morts se mélangent aux vivants dans des jeux d’ombre et de lumière fantomatiques au réalisme troublant. Les profondeurs de champs et les contre-plongées incessantes nous permettent de suivre la lente déchéance des personnages…
Le film atteint sans doute son apogée lors de la scène de folie de Lady Macbeth magnifiquement interprétée par Jeannette Nolan qui demeure encore aujourd’hui un des topos du jeu théâtral. Obsédée par le crime, elle se lave inlassablement les mains qu’elle croit recouvertes de sang.
« Et pourtant qui aurait pensé que le vieil homme avait en lui tant de sang ? »
— Acte V, scène 1
Raphaël Londinsky