Un teen movie, mais qu’est-ce donc ?
Rock Around the Clock (1956) réalisé par Fred F. Sears
High School Musical, Camp Rock, Twilight, Violetta… On va pas se mentir, on a tous déjà « entendu parlé » de ces films et séries, un peu niais, un peu honteux, que ça soit par nos petits frères/sœurs ou un loisir non-assumé. Ces films, ce sont les teen movies (auxquels j’ajoute les comédies musicales et les films fantastiques Young Adults, dont les caractéristiques sont semblables) : des comédies romantiques sur les adolescents, avec un point de vue adolescent. Des histoires d’amour dans le pays imaginaire d’Hollywood, où le ton est léger, le dénouement forcément heureux, les personnages juvéniles, faussement pris dans des contradictions. L’humour gras et lourd, dont nous serions apparemment friands à l’adolescence (coucou American Pie), est fréquent. Bref, on est loin des films sur les adolescents de Larry Clark.
Selon un article du Guardian, les films de ce genre apparaissent dans les années 1950 aux Etats-Unis, dans un contexte de boom économique post-apocalypse, entre rock’n’roll à la Elvis et progression des mœurs sociales. Rock Around the Clock (1956) réalisé par Fred F. Sears serait le premier film ciblant plus spécifiquement les adolescents que les adultes. Notons que le concept même d’« adolescent » venait tout juste d’émerger.
Les années 1980-1990 marquent l’âge d’or des teen movies, avec l’apparition gros succès tels que 16 bougies pour Sam (John Hughes, 1984), Breakfast Club (John Hughes, 1985), The Outsiders (Francis Ford Coppola, 1983), American Pie (Paul et Chris Weitz, 1999) et d’autres. A partir des années 2000 et jusqu’à aujourd’hui, les genres se multiplient et s’éloignent plus du teen movie traditionnel. On voit alors des films tels que Scary Movie ou Scream, qui surfent sur le film d’horreur soft (ou carrément parodique), mais aussi beaucoup d’adaptations de roman fantastiques Young Adults, comme les fameux Twilight, Hunger Games, ou récemment Le Labyrinthe.
Des éléments récurrents
Highschool Musical : sérieusement, qui a déjà vu une salle de classe aussi SWAG?
Les particularités des genres qui émergent importent finalement peu, puisque ces films ont toujours un petit truc en commun : ils sortent tous du même moule scénaristique, montrant le cliché de l’adolescent dans toute sa splendeur. Ainsi, les lieux seront bien souvent les mêmes en termes de représentations symboliques. L’action se déroule en banlieues chic, dans un environnement urbain mais pas en pleine ville, trop dangereuse, trop surplombante. L’école est un lieu emblématique. Elle n’est pas présentée comme un lieu de la scolarité, mais comme celui où les jeunes se rencontrent, se parlent, se mettent en scène, le regard de l’autre étant un thème récurrent dans ce genre de films. C’est donc l’endroit où se déroulent les histoires de mœurs (déclarations d’amour ou d’amitié, moments clés de l’histoire, mais aussi ruptures, humiliations…). Par opposition, le domicile familial est le refuge, spacieux, clair et sécurisant, dans lequel l’adolescent va se réfugier.
Quand aux personnages, ils suivent la même typologie : majoritairement blancs, ils sont hétérosexuels, jeunes, appartiennent à des bandes d’amis-pour-la-vie, et surtout, ils sont aisés. On pourra constater que la jeune fille sera systématiquement associée à son apparence : il faut bien que l’on distingue « la pouf » tout de rose/paillettes vêtue, et l’héroïne, qui, contrairement à sa rivale, est véritablement jolie, vertueuse, et bien plus naturelle. Les filles sont soumises à des règles de groupes régies par la rivalité. Point de baston cependant, on les veut évidemment plus prude que les garçons. Les garçons eux, doivent affirmer leur virilité et jouer leur rôle d’homme dans le groupe de pairs. Il restent intrépides, et se différencient ainsi à la fois des adultes et des filles.
Hannah Montana et ses amis-pour-la-vie
On peut aussi se rendre compte que certaines notions sont systématiquement présentes dans les teen movies. Notion numéro 1 de tout bon teen movie qui se respecte : l’amûûûr. Pilier de l’histoire, élément central de l’intrigue, le couple amoureux (voire la perte de la virginité, explicite ou non) est la recherche absolue qui mène au bonheur. Cette quête est l’objet de nombreuses manipulations, stratégies, et alliances. La relation de couple sera toujours régie selon les codes stéréotypés propres à chaque sexe. Fabrice Audebrand résume dans la revue Les Cahiers Dynamiques l’ouvrage très complet Les Teen Movies d’Adrienne Boutang et Célia Sauvage. En ce qui concerne la question de la quête de sexualité dans ces films, il rajoute : « Derrière la violence, ou une pseudo-liberté des mœurs, se cachent des diktats très normatifs, prônant une morale sexuelle fondamentalement puritaine et une soumission à l’adulte et à la société parfaitement visible. ».
Autre notion : celle du clan. Les protagonistes appartiennent à une communauté d’amis, des groupes de pairs rivaux, où tous les problèmes se résolvent par la candeur d’une amitié sincère et qui réunit finalement tous les personnages.
Enfin, on remarquera aussi la thématique de la popularité. Il faut avoir des amis, être entouré, et l’on assiste souvent à une course au sacro-saint Graal du titre de « la fille la pus populaire du lycée ». Cependant, les héros et héroïnes seront toujours les personnages naturellement populaires et non pas superficiels, contrairement aux personnages qui eux cherchent la reconnaissance artificielle, qui seront dévalorisés. Ces productions américaines ont donc en commun la répétition d’un langage propre, d’un ton, d’un scénario-type, et d’une typologie de personnages.
Des effets sur les ados… et les adultes
NON ?!
Ces films tiennent aussi souvent leur succès de la force de leur marketing. Les produits dérivés, objets, magazines dédiés, voire spectacles entiers pour certaines comédies musicales, prolongent l’expérience du spectateur. En multipliant ainsi les possibilités de donner corps aux personnages dans la vie réelle, on pousse au maximum les ados-consommateurs à s’attacher à eux. Le story-telling concernant les acteurs est également bien rodé. Avouons-le, qui n’a pas rêvé de l’amitié entre les héros d’High School Musical ? Qui n’a pas pleuré à chaudes larmes en apprenant la rupture entre Robert Pattinson et Kirsten Stewart ?
Il faut pour comprendre cet attachement des ados a leurs teen-idoles se pencher sur l’identification faites aux personnages, qui est permise par les rôles-types vu précédemment. Car outre les stéréotypes de sexes, les caractéristiques morales des personnages sont aussi à remarquer : « le fils à papa », « la fille populaire », « le Nerd féru de sciences et timide maladif ». Ces typologies qui peuvent de façon anodine conforter et rassurer lorsqu’on est ado, qu’en fait-on une fois adulte ? Toujours selon Fabrice Audebrand, « Ces films présenteraient tous l’adolescence comme un espace-temps autonome et permanent, figé en sorte, loin de la dimension transitoire vers la maturité adulte que l’on reconnaît dans le monde réel. Le teen movie est le lieu d’expérimentation de l’adolescence en soi, bien plus qu’une invitation à grandir. Il s’y déploie un plaisir pervers de rester adolescent, mâtiné parfois d’une aspiration vers un mythique âge adulte. ». L’envie d’une sorte de rétrospective nous pousseraient donc à re-regarder les teens movies, ces chef d’œuvres de notre jeunesse (ben quoi ?). Car ces scénarios légers, ces personnages dénués de subtilité sont pour les adultes ou presqu’adultes que nous sommes un échappatoire, une régression assimilée à de la détente : nos motivations pour regarder ce genre de films ont bien changé. En regardant Lolita Malgré Moi (Mark Waters, 2005), on sait très bien ce qu’on va y trouver. Pas de réflexion poussée sur l’adolescence, ni sur les personnages ni sur la morale, ni sur l’histoire en elle-même, une vision romancée d’une période de notre vie, un dénouement que l’on sait heureux. En clair, pas de prise de tête.
Katniss Everdeen, héroïne d’Hunger Games, devant les ruines d’une ville détruite par le Capitole (on est loin de l’ambiance culcul-la-praline des lycées américains de banlieues)
Et pourtant, les teen movies ont comme tout film des éléments à mettre en perspective, des métaphores que l’on peut déceler une fois avoir à atteindre une certaine maturité. Ainsi, de véritables réflexions politiques, ou psychologiques peuvent transparaître de ces films. Alors, théorie du complot ou véritable intention du réalisateur ? C’est à chacun de voir.
On peut explorer par exemple la question du tabou de la sexualité dans Twilight comme dans cet article du Herald Sun. Ou encore découvrir les liens entre l’histoire d’Hunger Games avec l’actualité politique et militante réelle dans cet article paru dans le Times. Plus globalement, ces films peuvent interroger la question fondamentale de l’être humain, celle de trouver sa place parmi les autres au sein de la société.
Mathilde Dupeyron