A chaque fin d’année, son cru d’affiches de film enneigées. Celui de 2016 s’avère prometteur et étrangement symétrique. Analyse.
Vous avez sous les yeux les affiches respectives de Joy de David O. Russel à qui on doit aussi Silver Linings Playbook sorti en France sous l’étrange nom de Happiness Therapy. Carol de Todd Haynes que vous connaissez peut-être pour avoir réalisé I’m Not There, biopic sur Bob Dylan avec Cate Blanchett. The Hateful Eight de Quentin Tarantino qu’il n’est plus nécessaire de présenter. Et enfin The Revenant d’Alejandro González Iñárritu, aussi réalisateur de Birdman. Ces quatre affiches outre le fait qu’elles sont enneigées conjuguent trois types d’éléments qui s’associent pour produire quatre combinaisons distinctes.
Premièrement la couleur : il s’agit de bleu ou de rouge. Deuxièmement le genre des personnages : des femmes pour Carol et Joy, des hommes pour The Hateful Eight et The Revenant (The Hateful Height ne comprenant qu’une seule femme pour sept personnages masculins, on le considérera comme film à dominante masculine). Troisièmement : l’environnement des personnages. D’un côté la ville, de l’autre une nature hostile.
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La couleur : du bleu et du rouge
Commençons par les couleurs et leur association à la neige.
D’un côté le bleu est convoqué dans sa connotation de couleur la plus froide de toute. Il s’associe donc à la neige naturellement, renforçant l’hostilité de l’environnement pour The Revenant, la froideur de la ville pour Joy. Mais le bleu étant la couleur préférée des Occidentaux, elle est également celle qui est la plus présente sur les affiches occidentales. On ne s’étonnera donc guère de son utilisation ici, elle qui caresse l’œil du spectateur, le met en confiance, ne le heurte pas.
Le rouge quant à lui est également traditionnellement utilisé avec la neige mais pour signifier autre chose. On a ici l’illustration des deux métaphores classiques du rouge sur blanc (cf. “Du sang sur la neige au cinéma“). D’un côté le rouge sur blanc comme expression d’un désir sexuel problématique, d’un rapport sexuel tout simplement ou d’un dépucelage, ça c’est Carol. De l’autre on a le rouge sur blanc qui signale une violence presque animale à mille lieux de la civilisation, c’est le sang sur la neige, ça c’est Tarantino.
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Les femmes dans la ville, les hommes dans la nature
Quand la couleur est tantôt associée au féminin tantôt au masculin, tantôt à la ville tantôt à la nature, deux autres éléments se retrouvent au contraire systématiquement associés. Le genre des personnages et l’environnement naturel dans lequel ils se trouvent sont toujours les mêmes. Les femmes dans la ville et les hommes dans la nature. Il est surprenant de constater qu’il s’agit de l’association inverse de celle que l’on remarque habituellement dans notre société genrée. En effet en Occident le masculin est associé à la raison, à la technique, à la ville. Tandis que le féminin est associé à la nature et à ses mystères du fait que la femme a le pouvoir d’enfanter. On se retrouve donc avec des personnages qui ne sont pas dans leur milieu privilégié (dans les représentations j’entends) et qui vont devoir lutter avec ce milieu.
Dans les deux films à dominante masculine cet environnement hostile est la nature. Pour les films à dominante féminine il s’agit au contraire de la ville. Dans le cas de Carol, on se retrouve face à deux femmes qui s’aiment malgré l’interdit de l’homosexualité dans les années 50, elles doivent donc faire face à un monde de conventions qui leur imposent des cases. Leur idylle ne pourra s’épanouir qu’en quittant la ville grâce à un road trip à l’ouest. Dans le cas de Joy, on est face à une héroïne qui veut bâtir un empire d’un milliard de dollars, il s’agit d’une femme d’exception dans un monde où il existe peu de femmes au classement des plus riches du monde, et parmi ces femmes rares voir inexistantes sont celles qui ont bâti leur empire économique seule sans en avoir hérité. L’affiche française de Joy précise d’ailleurs « Personne ne croyait en elle. Sauf elle » soulignant bien cet aspect hostile de l’environnement. Les personnages féminins sont donc en lutte avec la société, et donc la ville.
Les personnages masculins quant à eux (mais aussi UN personnage féminin dans The Hateful Eight) sont en prise avec la nature. Mais pas seulement. Ils doivent dans le même temps lutter contre les autres êtres humains dans une lutte souvent solitaire. La violence de la nature et donc de la neige revêt deux rôles. A la fois elle reflète la violence des rapports entre les hommes, en les plaçant dans un environnement météorologiquement hostile qui les contraint à lutter en permanence pour leur survie, et qui les ramène à leurs instincts primitifs, à leur animalité. Mais dans le même temps elle remet tous les hommes à égalité en les ramenant à leur humanité et leur faiblesse, à leur condition d’homme face à ce qu’ils ne maitrisent pas : la nature.
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Le rôle de la neige
Et le rôle de la neige dans tout ça ? Il existe tout d’abord cette volonté de coller avec l’environnement. En fin d’année le public a envie d’aller voir de la neige, d’être en cohésion avec la saison. On rêve de blancheur immaculée et de ski (On ne sort pas Tout Schuss avec José Garcia en plein mois d’Aout enfin). Mais au-delà de cet aspect communicationnel, la neige tient bien un rôle dans ces quatre films, et l’on constate qu’elle se pare à chaque fois de ses valeurs plutôt négatives. Dans The Hateful Eight et The Revenant, ce rôle est assez clair, il s’agit de la neige comme signe d’absence de vie, donc de mort, c’est la neige de l’enfermement (cf. “Quand la neige rime avec piège”) qui peut mener à la folie donc (cf. Shining) et c’est la neige que l’on associe à la violence. La neige en milieu urbain est en revanche plus ambivalente. Sur les affiches elle renvoie à une certaine froideur de la ville (particulièrement dans le cas de Joy) mais aussi à une idée de fraicheur et de renouveau, face à des femmes qui vont sortir des conventions pour créer du neuf, comme la neige qui en tombant recouvre le passé. N’ayant pas encore vu Joy, je ne peux vous en dire plus sur le rôle de la neige. Mais dans le cas de Carol, la neige est omniprésente tout le long du film et le pressentiment donné par l’affiche se confirme. La neige joue à la fois ce rôle de froideur imposée entre les deux femmes par la société, mais aussi de renouveau, les flocons tombant souvent lorsqu’un évènement positif a lieu dans la vie des deux personnages.
Voilà pour cette année. Rendez-vous pour le cru 2017, quand vous aurez à nouveau irrésistiblement envie de neige.
Cannelle Favier