Reagan et Thatcher, deux microbes du néo-libéralisme et de l’ordre face au Batman de Nolan.
Un bon vieux retour au Sacré-Cœur, à Fourvière et à la Semaine Sanglante.
The Dark Knight Rises, c’est le prêche officiel de Hollywood après la terreur d’Occupy Wall Street. Mais un prêche qui ne dit pas son nom, un prêche qui ne pèche pas par excès de militantisme. Subtilité de la forme parfaite et maîtrisée. Patiente pêche au spectateur. Il mord à l’hameçon d’or.
La forme classique, c’est la manifestation discrètement éclatante de l’ordre.
La fiction cache à peine sa trame purement politique : au terrorisme et à la prise du pouvoir des vilains répondent la réaction et la vengeance des gentils. Sauf que les vilains sont vilains parce qu’ils attaquent Wall Street et l’ordre de Gotham, et les gentils sont gentils parce qu’ils défendent Wall Street et l’ordre de Gotham.
Mais cette main de plomb est dans un gant de soie. Douceur du montage classique, robe envoûtante et transparente, robe qui teint son teint. Ni montage discursif, ni sermon moralisateur : on s’émerveille devant la jarretière que nous dévoile le film et l’on n’y voit pas le poignard qui nous pénétrera.
Posée dans le gant de soie, succulente, délicieuse, désirable, resplendissantE de beauté, sans taches, ne demandant qu’à fondre sous nos palais, une pomme. La pomme de la vertu : quel plaisir de se sentir aussi près de Batman, de Robin et de Lucius Fox ! que de gens de bien !
Mais la politique est dans le fruit. Croquer la pomme de Batman, c’est se croire libre de désirer, sans voir que l’on ne fait qu’obéir au dispositif même du film. C’est se livrer aux grandes énergies de Nolan et se retrouver on ne sait comment fervent partisan de l’Autorité et du Dollar.
La forme classique, maîtrisée, réglée, c’est la canalisation des torrents impétueux des spectateurs vers un barrage éminemment politique. C’est créer et orienter des forces émotionnelles : qui croirait que l’on pourrait trembler et éprouver de la pitié pour un trader ? Voyez The Dark Knight Rises, et ayez horreur des vilains qui attaquent les banques, et non plus des banquiers.
Le spectateur, être docile qui suit la lumière dans la nuit du récit jusqu’à tomber dans la toile. Et l’araignée saura lui injecter son idéologique venin.
Nous voilà à présent adorateurs de Batman, de l’État policier, de Wall Street et de l’injustice sans nous être rendus compte. Nous voilà à présent convertis.
Force du spectaculaire.
Les effets spéciaux, ces stimuli de nos sens physiques qui font somnoler notre sens critique. Chiens de Pavlov aux émotions programmées : un policier meurt, on pleure, un défenseur de l’égalité se dresse, on stresse.
Le spectaculaire, c’est la face miroitante et concave du discours politique. On se laisse attirer dans cette caverne aux mille reflets d’or et d’argent, sans voir cette force rhétorique qui simplifie à l’écran la complexité de l’existence. Des vies meurent en une image. Commune et Terreur vidées de tout sens, jusqu’à n’être plus que des populaces de vilains méchants voulant faire exploser le monde. L’égalité n’amènerait qu’à de modernes guillotines. Explosé, le rêve de la liberté et de l’égalité. Explosée, la fraternité des femmes et des hommes. Explosée, la démocratie.
Et au milieu de ce champ de ruines des idéaux humanistes, un happy end. Un retour à l’ordre. Merci la divine Providence, merci Batman, merci Messire le Milliardaire. Le Bien triomphera toujours du Mal, et les méchants seront expulsés du paradis capitaliste.
N’oublions pas que nos plaisirs sont les armes de leur ire.
The Dark Knight Rises, de Christopher Nolan
Vendredi 5 décembre 2014
Maxime Lerolle