Tous ces moments se perdront dans l’oubli, comme des larmes dans la pluie.
Cette citation tirée du premier volet de Blade Runner n’est là que pour nous rappeler le caractère éphémère de l’existence et de la création. Pour autant, le remake de Denis Villeneuve obtiendra-t-il l’aura et le statut de l’œuvre originelle ou tombera-t-il dans l’oubli comme de nombreux films de science-fiction ?
La difficile entreprise du reboot
La tâche était hardie pour le réalisateur Québécois, reprendre Blade Runner relevait plus d’une gageure que d’une faveur tant l’œuvre originelle de Ridley Scott a marqué les esprits. Autrement dit, doit-on sortir de terre un monument quasi sacerdotal aux yeux des puristes du genre ? La question méritait d’être posée. Pour autant le succès du premier opus de 1982 fut tout à fait relatif, tant sur le plan du box-office (27,58 millions de dollars au box office mondial) que de la critique. L’introduction du genre cyberpunk ainsi que le rythme indolent de la mise en scène divisèrent les spécialistes, pariant invariablement sur la postérité ou non de l’œuvre de Scott.
L’art magnifique de la déshumanisation
Dès la scène d’ouverture, nous sommes plongés dans l’univers dystopique du roman de Philip K. Dick, l’ambiance y est pesante, morose comme asphyxiée dans les effluves létaux d’un capitalisme à son apogée. Le constat est net, Villeneuve a mirifiquement remporté le pari des décors. Impressionnants, grandioses, grandiloquents… la liste pourrait être longue pour décrire ce que nous sommes en train de voir à l’écran. Des plans d’une beauté éthérée et étouffante, des couleurs reflétant des émotions ambivalentes entre dégoût et fascination, Villeneuve a indubitablement réussi à créer un film d’un esthétisme magnétique.
Paradoxalement Los Angeles y est dépeinte comme une ville futuriste sombre, écrasée sous le poids de la pollution qui enveloppe les gratte-ciels. Ses habitants y sont peu mis en scène et pour cause, ils n’ont pas d’utilité. Ils sont la masse informe et silencieuse, prisonniers des murs qui entourent la ville qui les sépare des banlieues crasseuses. L’officier K (clin d’œil subtil à Kafka), interprété par Ryan Gosling est l’un d’eux, un réplicant, sorte de machine à l’apparence humaine dont la mission est de supprimer ses anciens congénères devenus dangereux pour l’ordre de la société. La question de la déshumanisation de la société y est latente, sommes-nous vraiment à l’abris de cette funeste dérive ? Nous serions tentés de répondre par la négative. K est au centre du débat, réplicant et donc par nature inhumain, il se laisse aveuglé par de faux souvenirs fabriqués de toute pièce. Une humanisation lente et pernicieuse qui lui confèrerait une âme. Intègre et presque sentimental, il semble être doté d’une humanité dont sont dénués les êtres de cette fable dystopique.
L’expression du silence
Ne nous méprenons pas, ceux qui sont venus dans l’espoir de voir un film d’action dopé à la testostérone sortiront frustrés des salles obscures. Blade Runner 2049 est lent, très lent, indécemment lent et c’est assurément dans ce rythme que réside la beauté du film. À contre-courant des blockbusters qui jalonnent l’orientation actuelle du cinéma américain, Villeneuve a décidé de miser sur un rythme d’une nonchalance assumée. Les plans longs se succèdent et racontent à eux seuls l’histoire, Blade Runner 2049 est une ode silencieuse à l’esthétisme. Le film est taiseux, épuré de toutes prises de paroles superflues qui parasiteraient sa beauté et sa lenteur toute Tarkovskienne. Seul le vrombissement électrique des autos volantes ainsi que les voix suaves des publicités holographiques scabreuses sont admis dans ce film où le silence est roi. Mutique, Ryan Gosling l’est, c’est sa marque de fabrique. Depuis Drive de Nicolas Winding Refn, l’acteur Canadien n’a cessé de sa cantonner à cet archétype caricatural du mâle alpha sombre et mystérieux. Un rôle et une prestation dans la lignée de ses précédents films (Drive, Only god forgives ou The place beyond the pines) qui malheureusement bride le potentiel de l’acteur qui pourtant ne manque pas d’atouts pour étayer la palette de son jeu.
Une réflexion sur la décadence civilisationnelle
Une chose est certaine, Blade Runner 2049 ne sera pas érigé en œuvre culte pour son intrigue. Complexe et absconse, elle n’apporte pas de réelle plus-value à un film qui n’en a finalement pas besoin. Une volonté implicite de Denis Villeneuve qui a certainement privilégié la poésie noire de son long métrage à la création d’une trame narrative solidement ficelée. Blade Runner 2049 est une ode crépusculaire à la mélancolie, une critique acerbe des sociétés contemporaines absorbées par l’individualisme et la perte des idéaux humanistes. Tout en interrogeant des thèmes comme le souvenir ou la mémoire, Denis Villeneuve nous livre une fresque obscure sur la décadence de la civilisation, une réflexion métaphysique sur la frontière désormais poreuse qui existe entre l’homme et les machines.