Palme d’or surprise de la 70ème édition du Festival de Cannes, le film épuré du suédois Ruben Östlund, déjà lauréat du prix Un Certain Regard en 2014 pour Snow Therapy, fustige avec application nos sociétés occidentales modernes et leur recherche obstinée d’une communication sans faille, à travers le prisme du milieu fermé de l’art contemporain.
Rire de l’échec
The Square, c’est avant tout une série de situations de communication. Organisées, réglées, instrumentalisées, elles sont le reflet d’une société cherchant à maîtriser précisément le message donné et son effet escompté sur le public, cherchant à mécaniser à tout prix les rapports sociaux. Or, ici la machine est enrayée, rien ne fonctionne comme on le souhaiterait. Dès le début du film, une réunion professionnelle visant à préparer un plan de communication se solde par une incompréhension générale : les communicants ratent la présentation de leur projet, les clients n’y adhèrent pas.
Du discours de Christian (Claes Bang) faisant semblant d’être spontané à la situation de flirt ratée et ridiculisée, de la conférence constamment interrompue par un homme atteint du syndrome de La Tourette à l’absence de communication entre Christian et son ex-femme qui ne savent pas qui doit aller chercher les enfants : tous ces échecs portent à rire. Le jeu redoutable et très réussi de tous les acteurs et notamment d’Elizabeth Moss dans le rôle d’Anne rend ce malaise souvent délicieux. Mais si nous rions, c’est que nous nous reconnaissons dans cette mosaïque du fail, c’est que notre vie est ainsi la plupart du temps : désespérément imparfaite.
Une oeuvre ambiguë
Accusé à tort et à travers d’être cruel et misanthrope, The Square dénonce au contraire la normativisation des discours et des liens sociaux en dépit des imprévus et de l’imperfection naturelle de l’humain. La scène de la performance artistique d’Oleg (admirable Terry Notary), qui se démarque clairement du film et a vocation à devenir une scène culte, montre bien à quel point nous sommes terrifiés par la moindre transgression de nos codes de communication, paniqués au moindre surgissement du sauvage, de l’indompté. Ainsi le film en lui-même constitue un échec de communication : on ne comprend pas clairement son message et beaucoup de questions restent sans réponse.
Le film se joue des attentes du spectateur en se refusant à montrer certains plans qui satisferaient notre voyeurisme tout en nous offrant des plans indésirables, non-narratifs, des vues sur les mendiants des rues d’une ville suédoise, amputés ou tremblants de froid, les allées désertes d’un musée que personne ne visite. Mais alors qu’il rit à gorge déployée de l’obsession bourgeoise pour le politiquement correct, le film se perd dans ses propres contradictions en présentant finalement une fresque très simpliste et tire-larmes des inégalités sociales.
Le futur du contemporain
Il va sans dire que la satire de Ruben Östlund flatte nos représentations caricaturales de l’art contemporain : quelques blancs privilégiés se gargarisant de métaphores devant des tas de cailloux ou un simple carré sur le sol, une coupe de champagne dans une main et un iPhone dans l’autre. Mais il n’y qu’à lire le récit de la projection privée du film à Beaubourg pour les dirigeants du Centre Pompidou* pour comprendre que si Östlund cherche à provoquer et à dénoncer, c’est toujours avec le vernis du second degré. Finalement, le film présente aussi la difficulté à intéresser le grand public d’aujourd’hui à l’art contemporain, un enjeu réel auquel doivent faire face les acteurs de ce milieu.
Ces derniers ne sont pas étrangers aux expositions interactives et spectaculaires, campagnes sensationnalistes sur les réseaux sociaux et autres bad buzz, sursauts médiatiques visant à attirer un public parfois trop rare. Très récemment, on peut citer l’exposition « Art and China after 1989 : Theatre of the World » au musée Guggenheim de New York comportant des animaux vivants maltraités et ayant fait une très mauvaise publicité au musée après une pétition à 700 000 signatures demandant son annulation. The Square nous interroge sur le futur de plus en plus numérique de nos sociétés et la place que nous allons y donner, certes à l’art, mais aussi à nos relations personnelles. Il questionne l’avenir des différentes classes sociales à une heure où nos communications sont de plus en plus virtuelles et maîtrisées. C’est une invitation à rire de soi, des autres et de la fragilité de notre société artificielle.
Justine POUVESLE
*article du Figaro : http://www.lefigaro.fr/arts-expositions/2017/10/04/03015-20171004ARTFIG00218-l-insolente-projection-privee-de-the-square-a-beaubourg.php