Après avoir abordé le quotidien de la communauté transsexuelle de la cité des anges dans Tangerine, Sean Baker nous raconte la vie de Halley et de Mooney, mère et fille vivant dans un motel en bordure de Disneyland. Halley est fauchée et accumule les combines pour payer son loyer. Moonee, elle, fait les quatre cents coups avec ses amis résidents du motel The Magic Castle ou d’autres environnants. Couleurs pop et rêves désenchantés se mêlent, célébrant une enfance qui subit les travers d’une Amérique néolibérale impitoyable.
The Florida Project aborde et questionne la précarité des laissés de côté du rêve américain. La mère et la fille vivent dans un des motels qui entourent Disneyland sans jamais pouvoir en passer les portes. Une symbolique qui rappellent les bidonvilles bordant la prospérité des capitales. Mais la force du film est d’en faire un traitement sincère, dans la justesse. Le réalisateur fait le choix d’une peinture empathique d’un groupe et d’une époque. Pourtant, le point de vue de la caméra n’est jamais inquisiteur, et les personnages ne sont pas jugés sur leurs opinions ou leurs actes. Le spectateur suit Moonee et ses camarades, prend progressivement à son tour cette aire d’autoroute pour un immense terrain de jeu. L’onirisme du décor est souligné par une esthétique léchée, qui rappelle les paysages d’un Wes Anderson, la brutalité du réel en plus.
Une fiction plus vraie que vraie
Ce qui fait la force de The Florida Project, c’est le choix du réalisateur de juxtaposer les jeux d’acteurs professionnels (les personnages principaux) à ceux d’amateurs (les résidents du motel). Ces derniers apportent une authenticité au film, qui fait flirter la fiction avec le film documentaire. Cette volonté de Baker date de son précédent film, Tangerine qui a été tourné avec un iPhone.The Florida Project, lui, hérite de davantage de moyens et prend la forme d’un long-métrage standard. Néanmoins, Baker ne rompt pas avec l’investigation documentaire et assimile son cinéma à de la « semi-fiction ». La visée est toujours la même : mettre les oubliés du cinéma américain sur le devant de la scène. Le réalisateur semble apprendre du milieu qu’il appréhende de la même manière que le spectateur, au fur et à mesure du déroulement de la trame.
Pourquoi on a le béguin…
Si The Florida Projet nous pique au coeur, c’est parce qu’on sort de la séance troublé, et sans parvenir à en déceler les fils rouges. C’est peut-être d’abord la qualité du jeu des acteurs. Brooklynn Prince, qui interprète Moonee, mimique avec perfection la désinvolture et l’égoïsme de Halley du haut de ses 7 ans. L’acteur hollywoodien Willem Dafoe, de son côté, joue très sobrement la figure bienveillante du Magic Castle qui veille sur le destin de ses occupants. La plupart des autres acteurs ont été « castés » sur Instagram, comme Bria Vinaite qui se met pourtant dans la peau de la jeune mère célibataire avec une crédibilité désarçonnante. La relation de la mère et de sa fille prend à l’écran comme une émulsion chimique. Le final s’élabore en crescendo pathétique, pourtant, rien n’est jamais surfait. La retenue des personnages rend l’émotion brute, puis pensive. Baker veut faire penser à « toutes les vraies Moonee qui existent » et y réussit incontestablement. Son oeuvre happe ses spectateurs à la manière d’un récit de fiction en bénéficiant de la richesse informative du documentaire. Sean Baker engagerait-il une douce révolution du cinéma moderne ?
Alice Pasche
SOURCES :
Texte :
– youtube.fr, « ‘Florida Project’ Star Initially Thought it Was a ‘Sick Joke’ When Director Reached Out to Her », Variety, 18 décembre 2017.
– youtube.fr, « Seven-Year-Old Actress Brooklynn Prince on The Florida Project », Jimmy Kimmel Live, 30 novembre 2017.
– leparisien.fr, « The Florida Project : cette gamine de 7 ans mérite un Oscar », Catherine Balle, 24 décembre 2017.
– tracks.arte.tv, « Dans son dernier film The Florida Project, Sean Baker se penche une nouvelle fois sur les exclus de la société », 12 décembre 2017.
Crédits images :
– Image 1 : variety.com, « Film Review: ‘The Florida Project’ », Owen Gleiberman, 22 mai 2017.
– Image 2 : rogerebert.com, « The Florida Project », Brian Tallerico, 6 octobre 2017.