« Nous ne voulions pas que cela devienne une farce. Nous voulons que les gens soient émus ». C’est bien là l’objectif du film Bohemian Rhapsody selon Roger Taylor, batteur du groupe mythique de rock Queen. Entre fans inconditionnels et critiques perplexes, les avis sont partagés sur le résultat émouvant du long-métrage. Consacré à un retour sur la vie de Freddie Mercury, alias Farrokh Bulsara, dans ses années rock et sur son groupe Queen, le film était attendu depuis 2010. Suite à un travail minutieux sur le scénario et le casting, Queen Films devient producteur pour être au plus proche des choix cinématographiques. En tant que cinéphile amatrice qui ne s’est jamais intéressée scrupuleusement à la vie de la star du rock, cette biographie confirme l’image que j’avais de Freddie Mercury et m’a beaucoup plu. Mais quelques recherches sur le personnage m’ont suffi pour remettre en question l’authenticité du long-métrage. Alors… biopic trop lisse ou blockbuster validé ?
Résumer 15 ans en 134 minutes, un coup à se mélanger les pinceaux
En sortant de la salle de cinéma, on ne sait quoi penser de Bohemian Rhapsody. Émue par le personnage et encore frémissante à cause de la BO, je reste dubitative sur ce que je retiens de Freddie Mercury. En effet, une multitude de sujets ont été abordés : la personnalité rayonnante du chanteur, l’évolution de Queen, le SIDA, l’homosexualité, le caractère innovateur de leurs chansons, etc. Pourtant, on a l’impression d’avoir seulement survolé les histoires touchantes et délirantes du chanteur.
En revanche, je valide entièrement l’aspect « familial » du groupe. La production Queen Films a mis l’accent sur l’interdépendance entre le groupe et Freddie Mercury. Un lien fort a été créé entre les membres de Queen, ils ont vécu une vie pleine de rebondissements ensemble et ce film nous le rappelle. On se souvient d’une scène où Mercury s’exclame : « Je ne suis pas tout seul à Queen, on est quatre je vous rappelle ». On comprend alors l’intention première : au-delà d’être une histoire sur Freddie Mercury, c’est l’histoire d’une famille, de Queen.
Par ailleurs, cette mise en valeur du groupe et les divers sujets abordés menacent de faire oublier l’histoire de Freddie Mercury avant sa rencontre avec Queen. Comment la star est devenue celui qu’il a été auprès de Queen ? On veut savoir !
Un biopic qui n’est pas entièrement authentique
Le sujet est redondant dans toutes les critiques du film : le personnage de Freddie Mercury est-il conforme à la réalité ? On le connaît tous comme timide puis se dévoilant comme bête de scène, fan de fête orgiaque, souvent dans l’excès ; et cela convient aux fans ! Danièle Heymann, rédactrice pour Inter France, explique : « Moi j’étais fan de Queen et je trouve que le portrait est fidèle, rien n’est éludé, ses relations avec ses amoureux sont tendres, humaines, les scènes dérangeantes sont évitées. ». Et pour quelqu’un (comme moi) qui découvre le personnage, cela paraît crédible.
Cependant, certains points ont été ajustés, transformant la figure extravagante de Freddie Mercury. En effet, lorsque Freddie rencontre le groupe Smile, le scénario donne l’impression qu’il arrive de nulle part et que le fait qu’il sache chanter est un secret. Or, c’est à l’âge de 12 ans que Farrokh Bulsara crée son premier groupe de musique : The Hectics. Un passage de sa vie qui a été mis sous silence pour renforcer l’impact émotionnel lors de la rencontre du groupe : serait-ce une astuce commerciale pour toucher un public plus axé sur les films à l’eau-de-rose ? Clairement, oui.
Cette astuce se poursuit autour de la personnalité de Freddie Mercury : le spectateur comprend bien que le chanteur était timide et que la scène lui a révélé un feu intérieur indescriptible. Cependant, la construction de ce caractère n’est pas assez exploitée à mon goût. Thomas Jamet raconte : « C’était quelqu’un d’extrêmement timide, de foncièrement gentil, mais il se cachait derrière un personnage. Il a changé de nom assez vite pour prendre un nom de scène. Ce personnage l’a complètement habité, c’est quelque chose qu’il a créé et qu’il a su imposer à ses propres yeux et à ceux du public après ». Serait-ce un choix scénaristique du groupe Queen qui n’a voulu montrer que l’image qu’ils avaient du chanteur?
La sexualité de Freddie Mercury mise sous silence
Certains choix de la production tendent également à fausser l’image de Freddie Mercury, la rendant plus « lisse ». La sexualité dans les films est toujours délicate, surtout dans des blockbusters « familiaux ». Eh oui, pour plaire à son public, « les scènes dérangeantes sont évitées » par la production. En effet, la sexualité de Freddie Mercury est ici quelque peu éclipsée quand on la compare à la réalité. La passion qu’avait Freddie pour les orgies est dissimulée pour le rendre politiquement correct. Une seule phrase le rappelle : « Trouve moi tous les mauvais fruits qui sont tombés de l’arbre et tu les invites à la fête. ». On comprend subtilement que Freddie Mercury passe de lit en lit, mais jamais n’est confirmé le fait qu’il aimait le sexe, comme il l’avait expliqué : « Il y a des moments où je ne vis que pour le sexe ».
A contrario, l’homosexualité de Freddie Mercury est mis en avant tout au long du film. C’était inévitable selon moi : dans une société où l’homosexualité est de plus en plus acceptée mais où le fait de l’assumer reste courageux, Bohemian Rhapsody ne pouvait éviter la scène du coming-out.
Rami Malek « [était] connecté à Freddie Mercury »
Au sein de ce micmac scénaristique, une chose ravive la flamme des cinéphiles : la performance de Rami Malek. En découvrant l’acteur sur scène, mon coeur a redémarré. Plus que le fait d’interpréter Freddie Mercury, l’acteur entre dans la peau de la star et se façonne une personnalité à son image. Avec un tel résultat, on ressent les mois de répétitions intenses : des regards en coin au dynamisme avec lequel il agite le micro sur scène, Rami Malek devient Freddie Mercury. C’est avec Polly Bennett, coach en mouvement, que l’acteur s’est appliqué à reproduire l’attitude du rockeur. On peut facilement voir une ressemblance frappante durant la dernière scène du film et le live du groupe au Live Aid. La démarche, la prestance, le comportement sur scène, tous les gestes de Freddie Mercury durant ce concert ont été répétés à la perfection. Pour cela, l’acteur avoue dans une interview avec le Figaro : « J’ai cherché l’homme derrière la star. ».
Pour couronner le tout, ce que l’on retient de Bohemian Rhapsody et qui résonne des jours entiers dans nos têtes : la BO fantastique qui rassemble tous les meilleurs titres de Queen. Les vibrations se font encore ressentir dans mon corps et c’est pour cela que le film a du succès auprès du large public. On revit sa jeunesse pour certains, on découvre avec surprise le rythme de la batterie pour d’autres et on chante à tue-tête pour les derniers.
Un bon moment de partage qui, selon moi, balance entre le manque de profondeur concernant l’histoire Freddie Mercury et le plaisir du divertissement familial.
Mathilde MONNIER