Bonnets de bain, pédiluve et odeurs de chlore, Gilles Lellouche nous fait plonger sans ménagement dans Le Grand Bain, en salles ce mois-ci.
Lorsque l’on pense « natation synchronisée », on visualise généralement une performance d’athlètes aussi gracieuse que complexe. C’est un contre-pied pour le moins osé que nous propose ce film, avec son équipe de quarantenaires et de quinquagénaires bedonnants mis à mal par leurs tragédies personnelles.
Difficile de coller davantage à la notion d’anti-héros, car entre le PDG en faillite, le père de famille en dépression et le gardien de piscine candide, aucun de ces hommes ne correspond à l’héroïsme que l’on attend de l’homme moderne : aucun n’a « réussi ». Outre cet échec présenté comme tel par notre société, ce qui rapproche ces hommes c’est aussi et surtout une équipe de natation synchronisée à entraînement hebdomadaire. Coachés par une ancienne championne ayant sombré dans l’alcoolisme, ils tentent, avec plus ou moins de succès, de laisser leurs dépressions et autres drames familiaux dans la cabine en revêtant leurs maillots moulants et leurs claquettes.
Toucher le fond pour mieux remonter
Si Le Grand Bain se présentait dans sa stratégie de communication comme une véritable comédie, elle ne s’offre pas si facilement au spectateur. Elle nous fait d’abord passer par un sacré blues, diluant à petites doses son humour, avant d’enfin libérer tout son potentiel de feel-good movie.
Or ce véritable parcours du combattant émotionnel que nous impose Gilles Lellouche ne sert pas qu’à nous émouvoir gratuitement : il nous permet surtout de nous rapprocher des personnages pour mieux les accompagner dans leur propre quête, à savoir la poursuite de leur dignité. Cette dignité, ils ne la trouveront pas dans le modèle de « virilité forte et absurde » (pour reprendre les mots du réalisateur) avec laquelle ils se sont avérés incompatibles, mais dans « la fille qui est en eux » (pour reprendre les mots de leur coach), qui les mènera jusqu’aux championnats du monde.
Les protagonistes nous sont donc d’abord présentés dans toute leur déchéance, avec un humour grinçant. Rien ne va réellement, et l’on comprend alors à quel point cet entraînement, qui semblait de prime abord si absurde, est en fait une véritable thérapie pour eux.
Cette structure narrative, si nécessaire à l’empathie envers les personnages, fait cependant apparaître un léger déséquilibre dans la cohérence de ces derniers. Si la plupart des scènes savent mêler le tragique et le comique, ce qui fait d’ailleurs leur terrible efficacité, d’autres se rangent plus d’un côté ou de l’autre, et certaines figures ont alors tendance à devenir quelque peu répétitives. Cela transparaît surtout dans les scènes purement comiques, qui semblent parfois tirer sur des ficelles bien visibles.
Le personnage de Guillaume Canet, par exemple, si touchant dans son contexte familial, devient dans quelques scènes une caricature de râleur fermement opposé à l’optimisme, ce qu’il exprime d’ailleurs avec véhémence dès sa première apparition. On pourrait également regretter que celui de Leïla Bekhti ne soit pas écrit avec autant de nuances que celui de Virgine Efira, avec lequel il fonctionne pourtant par paire.
Le film semble toutefois prendre conscience de cela, et nous le fait remarquer avec humour, sans jamais tomber dans la lourdeur, ce qui est notamment permis par son casting d’exception.
Une esthétique maîtrisée permettant au film de se démarquer
Le casting est certes impressionnant, réunissant dans le même bassin Philippe Katerine, Mathieu Amalric, Guillaume Canet, Benoît Poelvoorde, Leïla Bekhti, Virginie Efira et Marina Foïs, mais il ne serait rien sans la caméra de Gilles Lellouche, qui vient porter sur eux un regard plein d’empathie. Car là semble être le maître mot de ce long-métrage, venant poser sur l’épaule de ses personnages une main bienveillante.
« Nous étions dans le flasque avec bonheur » raconte Mathieu Amalric en interview, interrogé sur l’ambiance du tournage. Cette formule légère retranscrit bien le courage de ces acteurs qui osent se présenter en maillot sur grand écran, oubliant tout complexe malgré leurs corps bien éloignés de ceux des athlètes que l’on retrouve habituellement en natation. En effet, à trop louer leur jeu, on en oublierait presque cette performance, non négligeable, d’autant plus que ce spectacle nous est offert en CinemaScope.
Ce format s’installe véritablement après la première séquence, qui consiste en une courte introduction semblant s’inspirer du style bien particulier de Jean-Pierre Jeunet. Il permet au réalisateur de nous plonger dans le grand bassin et fait du film un large terrain de jeu à la photographie. Car voilà un autre aspect positif du film : son traitement esthétique. Malgré quelques abus sur les lense flares nous rappelant à leur manière les exagérations de JJ Abrams dans son Super 8, le film parvient à trouver un équilibre afin de représenter la sobriété d’un foyer sans chaleur comme les sommets de kitsch de la représentation finale. Philippe Katerine n’aura jamais été si poétique qu’en errant seul dans cette immense piscine.
Même si elle est centrée sur les hommes, l’écriture ne néglige pas les femmes
Or si ce film fait la part belle aux hommes en les décomplexant de ne pas correspondre aux modèles qu’on attend d’eux, il parvient aussi à mettre en scène des personnages de femmes fortes, qui ne servent pas qu’à la mise en relief de leurs hommes.
Le personnage de Marina Foïs en est le parfait exemple, tant il apparaît comme un pilier pour le protagoniste sans pour autant s’abstenir de nous montrer des nuances dans ce soutien. La tirade du supermarché opère d’ailleurs comme un lâcher de pression monumental, et suffirait à elle seule à nous faire conseiller le film à n’importe quel proche.
Noée Abita, qui avait déjà fait ses preuves en 2017 dans Ava de Léa Mysius, livre ici une belle performance, incarnant un personnage d’adolescente lucide, désabusée, sans pour autant tomber dans le cliché de l’ado blasée que l’on nous a si souvent servi.
On pourrait toutefois regretter qu’un tel traitement ne semble pas être porté à tous les personnages. Celui de Virginie Efira, par exemple, jouit d’une véritable construction narrative, mais celle-ci disparaît pendant un bon tiers du film, ne laissant pour la suite qu’un personnage plus fade, qui semble quelque peu différent de celui servi au départ.
Non, comédie populaire et qualité ne sont pas incompatibles
Avec Le Grand Bain, Gilles Lellouche signe un film personnel qui, après Narco, qu’il présentait davantage comme un film de commande, et Les Infidèles, qu’il avait co-réalisé avec Jean Dujardin, lui laisse toute la place pour s’exprimer. Or il s’exprime bigrement bien, et il nous sert ici une comédie qui, malgré quelques légers défauts, sait tirer parti et mettre en valeur un casting d’exception par une écriture bien menée et une réalisation aussi belle que réfléchie. Résultat, un film qui fait du bien, et que l’on conseille sans hésitation.
Malgré sa qualité certaine, il est difficile de savoir si ce long-métrage sera récompensé par un prix. Le festival de Cannes l’a projeté (bien que dans la sélection Hors compétition, ce qui est toutefois compréhensible), mais c’est vers la prochaine cérémonie des Césars que se tournent les regards. L’apparition l’an dernier du César du Public semblait en effet appuyer le refus de l’Académie de récompenser directement les comédies populaires. Par ce nouveau César, elle rejette sans l’assumer le sale travail sur ce prix basé sur les entrées au box-office, sur lesquelles les comédies règnent en maîtres chaque année en France. Cette récompense « à part » est hypocrite par la distinction qu’elle impose entre les films de qualité et les films populaires, et incohérente par la volonté qu’elle traduit de récompenser la popularité d’un film au même niveau que sa qualité. Tout cela est d’une certaine manière remis en question par Le Grand Bain, qui prouve que ces deux notions ne sont pas incompatibles, et qu’une vision snob du 7ème art est aussi absurde qu’antinomique.
Joël BRIANTAIS