Envie de procrastiner devant un film de saison ? Mais vous en avez marre de Love Actually ? (de toute façon il n’est plus disponible sur Netflix donc vous n’avez pas vraiment le choix). Je vous invite à regarder un film de Noël pas comme les autres pour vous accompagner dans votre hibernation. Attrapez votre bouillotte, mettez vous sous la couette, aujourd’hui je vous parle de 8 Femmes, un film de François Ozon sorti le 6 février 2002.
8 Femmes est inclassable, à la fois huis-clos, film policier, comédie musicale, théâtre de Vaudeville… vous y trouverez votre compte. J’aime autant vous prévenir, c’est kitsch, irréaliste, invraisemblable, ça chante, ça danse, ça s’engueule… Dans les années 1950, à la veille de Noël, dans une maison de campagne bourgeoise isolée par la neige, une famille se réunit pour les fêtes. Survient alors le drame : le maitre de maison est retrouvé assassiné dans son lit, un couteau planté dans le dos. On se retrouve alors au milieu d’un Cluedo féminin, à la fois grotesque et prenant. Qui a tué Marcel ? Dans ce huis-clos très rythmé les 8 femmes mènent l’enquête, se suspectent, s’interrogent. Un personnage décrit ironiquement le drame comme étant « un beau conte de Noël : il était une fois un brave homme entouré de 8 femmes qui le martyrisaient, il luttait, luttait, mais elles étaient toujours les plus fortes. Hier soir ce pauvre homme s’est couché, plus fatigué, plus trompé, plus ruiné que la veille et la ronde de ces 8 femmes a recommencé.
Une intrigue policière théâtrale et musicale
Mon coup de cœur pour ce film est dû à la mise en scène. Le réalisateur utilise les codes du théâtre pour faire honneur à la pièce éponyme de Robert Thomas qui a inspiré le film. N’ayant pas lu la pièce originale je ne peux pas juger de la fidélité de l’adaptation mais on apprécie le huis-clos, les plans fixes et les dialogues dignes d’un Vaudeville. Parfois les répliques sont sur-joués comme pour saisir l’attention du spectateur installé au fond de la salle. Cette mise en scène est une belle prise de risque pour le format cinématographique.
Après avoir vu ce film, les réflexions de tonton raciste et mamie homophobe vous paraîtront dérisoires car les vacances de Noël de ces femmes s’annoncent bien plus mal parties que les votre après la mort de Marcel. La première fois qu’on voit le film il est impossible de deviner la fin. Le scénario rappelle les romans d’Agatha Christie : beaucoup de personnages très travaillés qui se révèlent petit à petit et une conclusion qu’on ne peut pas anticiper. Un film avec huit femmes, incarnées par huit actrices très talentueuses, et avec un dénouement de qualité je pense que Gary Ross, scénariste de Ocean’s 8, aurait peut être bien fait de le regarder. Pendant une heure quarante on accuse chaque femme : chacune fréquente régulièrement la victime, chacune a un mobile et a eu l’occasion de le tuer. On prend un malin plaisir à chercher la coupable de ce thriller théâtral, chaque suspecte laissant place à une autre au fil des disputes et des révélations.
8 Femmes surprend par sa mise en scène, par sa qualité scénaristique mais surtout par sa bande originale. Chaque actrice chante une chanson française des années 60 accompagnée de chorégraphies si épurés qu’ils semblent naturels. Sans être une comédie musicale, la manière dont les chansons sont incorporées au film rappelle inévitablement les films de Jacques Demy. 8 Femmes vous met donc en tête de très beaux morceaux de la chanson française et vous permet d’oublier pendant quelques instants Mariah Carey. Un des plus beaux moments musicaux selon moi est celui interprété par Emmanuelle Beart : Pile ou face. Comme les autres personnages, elle se révèle par cet intermède musical enflammé.
Une ode aux femmes et au cinéma
Le casting devrait suffire à vous convaincre de regarder le film : Catherine Deneuve, Fanny Ardant, Isabelle Huppert, Ludivine Sagnier, Virginie Ledoyen, Emmanuelle Béart, Danielle Darrieux et Firmine Richard. Elles incarnent des mères, filles, épouse, grand-mère, tante… et nous offre ainsi un éventail de portraits féminins des années 50. Chacune interprète un personnage singulier avec ses secrets. Chacune est mise en valeur avec sa propre chanson, danse, et costume.
François Ozon a réalisé un film interprété uniquement par des femmes, surement à cause du cliché de « l’électricité qu’il y a entre des femmes ensemble dans un vase clôt » comme le suggère Fanny Ardant dans une interview. La comédienne compare cela au fait de regarder un match de boxe : « on imagine toujours que les deux hommes se détestent ça fait partie du plaisir ». C’est ce que l’on ressent quand on regarde les scènes entre Catherine Deneuve et Fanny Ardant, première fois que ces deux actrices sont réunies sur un même film. Le traitement des tensions entre les personnages est délibérément misogyne et cliché, le regard de François Ozon se révèle plein d’ironie. En effet, elles agissent presque toutes comme de véritables garces, perverses et jalouses qui manipulent les hommes.
Marcel est le seul personnage masculin visible à l’écran mais on entrevoit à peine son visage et son rôle est muet. C’est le patriarche mais surtout la victime de l’histoire. Son assassinat ne semble être qu’un prétexte pour voir évoluer les différents personnages féminins. Ce film donne aux femmes toute leur place à l’écran, pourtant je ne suis pas sûre qu’il répondrait au test de Bechdel (qui détermine l’éventuelle sur-représentation des protagonistes masculins ou sous-représentation de personnages féminins dans une œuvre de fiction). Si les hommes ne sont pas là on ne fait que parler d’eux, ils sont la source de tous les conflits. Le film, aussi coloré et musical soit-il, n’est pas gai : les personnages féminins s’avèrent tous enfermés dans leur condition sociale, amoureuse, économique. Elles subissent toute une certaine forme de détresse, qu’elles expriment en chanson.
Finalement le film est une déclaration d’amour de François Ozon aux femmes du grand écran. Les références s’enchainent et s’entremêlent avec le décor, les costumes et la musique. L’hommage aux femmes et au cinéma est amplifié par le casting qui regroupe plusieurs générations d’actrices françaises ayant participé à différents mouvements cinématographiques. Les costumes s’inspirent de films et de personnages féminins emblématique du 7éme art. Hélas cet effort de référence n’est pas apprécié dés la première lecture. L’allusion cinématographique la plus claire est celle faite à Romy Schneider dont on nous montre une photographie (je pose ici que les vacances de Noël sont le moment idéal pour se refaire Sissi l’Impératrice).
La scène du personnage de Pierrette, incarnée par Fanny Ardant, qui interprète À quoi sert de vivre libre ? convoque le personnage de Rita Hayworth de Gilda, film réalisé par Charles Vidor en 1946.
Elle se dénude et enlève délicatement ses gants à la manière du personnage de Gilda.
Cette référence permet de dévoiler la personnalité de Pierrette : c’est une femme fatale, figure emblématique de l’histoire du cinéma. Rita Hayworth avait dénoncé la misogynie dont elle était victime en tant qu’actrice, toujours réduite à l’image de femme désirable : « les hommes s’endorment avec Gilda et se réveillent avec moi ». Elle ajoutait même avoir « toujours été utilisée et manipulée par les hommes ». Ainsi 8 Femmes appelle à questionner la place des femmes au cinéma. Le film met en scène un grand nombre d’héroïnes à l’écran mais il reste réalisé par un homme à partir d’une pièce de théâtre écrite par un homme. Finalement, le spectateur n’a seulement qu’un regard d’homme posé sur les femmes.
Esthétiquement, on sait aussi que le réalisateur s’est réclamé de Douglas Sirk pour ce film, tandis que ses choix de couleurs et de lumière cherchent à évoquer les films tournés selon la technique Technicolor des années cinquante. La reprise de Mon amour, mon ami est l’occasion de rendre un hommage en chanson au réalisateur Douglas Sirk à travers le décor et le personnage de Suzon. Je vous laisse comparer les extraits ci-dessous aux images issues de Tout ce que le ciel permet (All That Heaven Allows) sorti en 1955, les couleurs, les fenêtres givrées à carreaux, les tenues… la référence est maitrisée.
Si 8 Femmes peut facilement laisser perplexe, le film de François Ozon, à travers un regard misogyne délibérément ironique, nous rappelle que le cinéma ne serait rien sans les femmes. La première fois que j’ai vu le film je ne l’ai pas apprécié pour ses références cinématographiques mais pour ses révélations, son suspens et son dénouement. Rares sont les films de Noël qui nous surprennent encore. Maintenant il ne tient qu’à vous de regarder 8 Femmes ou de rayer un petit peu plus les cassettes de Maman j’ai raté l’avion et du Mystérieux Noël de Monsieur Jack.
Amandine AZZOUG
Sources :
http://www.allocine.fr/film/fichefilm-32701/critiques/spectateurs/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Huit_femmes_(film)
https://www.rayonvertcinema.org/huit-femmes-ozon/
https://fr.wikipedia.org/wiki/Test_de_Bechdel
https://www.violainecherrier.com/quelle-place-pour-les-femmes-au-cinema-en-2018/