Jason et les Argonautes, ou quand le kitsch rencontre le spectaculaire

Les récits des Anciens sont, pour les péplums, le terreau d’une imagination grouillante de subtilités : des monstres à écailles et à plumes aux charmes d’une naïade exotique, des muscles saillants aux savants stratagèmes, de petites jupes de toiles aux grandes toges rouges, on ne se lasse pas de ces aventures d’un autre monde.

Du carton pâte en offrande aux yeux

Des Dieux et une prophétie, un père à venger et une terre à protéger, un homme et une toison d’or magique : voilà les quelques ingrédients utilisés par Don Chaffey pour Jason et les Argonautes. Le réalisateur adapte très fidèlement le mythe de la quête de la toison d’or dans un film riche en poncifs de l’imaginaire antique et en facilités spectaculaires. Jason et les Argonautes est sans doute l’adaptation mythologique la plus kitsch de l’histoire du cinéma. Décors et costumes rivalisent avec les représentations les plus stéréotypées de la mythologie grecque. De plus Don Chaffey est allé faire ses courses à Gifi : des colonnes en plâtre, des drapés 100% polyester, des bijoux toc et des décors peints. Ce film fourmille de mille détails qui ravissent mon goût prononcé pour le baroque cheap et ridicule, condition sine qua non du spectaculaire. Jason et les Argonautes est une grande chimère kitsch jaillie d’un monde mythologique imaginaire.

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Derrière le kitsch, une vraie prouesse technique

Mais le plaisir du kitsch n’est pas la seule bonne surprise de Jason et les Argonautes. Pendant ses courses, Don Chaffey s’est arrêté au rayon des génies du cinéma. Ray Harryhausen est à la proue de l’Argo et guide le film vers un pays magique : il est en vérité le vrai maître de ce film. Admiré par tous les réalisateurs adeptes des effets spéciaux que nous connaissons aujourd’hui – Peter Jackson, David Cameron, Tim Burton et j’en passe – Ray Harryhausen est une célébrité dans le monde des trucages. Ses nombreux films sont toujours peuplés de monstres spectaculaires qu’il crée lui-même et anime en stop-motion. Pour Jason et les Argonautes, chef-d’œuvre de sa carrière, il lui faut deux ans de travail et seulement 3 millions de dollars. Chaque monstre ou créature néfaste est assemblé à la main et mis en mouvement image par image par Ray Harryhausen lui-même : une statue géante, deux harpies, une hydre à sept têtes, et surtout sept squelettes. Il s’agit de fabriquer le fantastique, de montrer l’impossible.

C’est tout le travail du trucage. Ceux de Jason et les Argonautes s’inscrivent toujours dans le même procédé : tout le ressort spectaculaire repose sur la coprésence du merveilleux et du réel. Les humains, Jason et les Argonautes, font face à des évènements surnaturels, voyagent dans des milieux imaginaires et se confrontent à des monstres. Toute la difficulté du trucage repose sur cette coprésence des acteurs avec un événement surnaturel recréé plus tard en post-production. L’effort fourni de montrer vraisemblable et invraisemblable dans le même plan, une corrélation à la théorie d’André Bazin du « montage interdit », parvient à créer le vrai spectaculaire. “Quand l’essentiel d’un événement est dépendant d’une présence simultanée de deux ou plusieurs facteurs de l’action, le montage est interdit “ exprimait Bazin. Le défi relevé par Ray Harryhausen est de créer un espace homogène où vraisemblable et invraisemblable, acteurs et monstres, partagent le même plan.

Bernard Herrmann aux commandes de la bande originale

En vérité, Jason et les Argonautes, sous ses aspects de vieilles cassettes de série B, est un très bon film d’aventure. On voyage avec Jason et ses compagnons de route dans un terrible monde contrôlé par quelques dieux égoïstes. L’imaginaire génial de Ray Harryhausen est évidemment le premier atout du film mais ce serait oublier un autre argonaute à bord de cette aventure cinématographique : Bernard Herrmann, l’un des plus grands compositeurs de musiques de films. Dans les années 60 – alors qu’il travaille aussi avec le maître du suspense Hitchcock – il loue ses talents auprès de Ray Harryhausen. Ses compositions lors de cette collaboration sont l’occasion d’une expérience musicale faisant de Bernard Herrmann un novateur. Le musicien réinvente le genre en accompagnant le spectateur dans son expérience. Plus qu’illustrer le film, il s’agit de créer des effets spectaculaires grâce à la musique elle-même. Il insiste beaucoup sur les effets grandioses, voire grandiloquents. Ses compositions amplifient les impressions et donnent ainsi plus de suspense et d’émotions aux scènes. De longs trémolos de violons, de trompettes et de graves martèlements de tambours accompagnent les visages terrifiés ou amoureux de cette aventure magnifiée par son usage novateur de la dissonance ou des accords augmentés.

L’audace d’inventer une musique plus « retentissante » que mélodique participe merveilleusement à créer un film kitsch et spectaculaire.

Agathe ARNAUD

Biblio-sitographie :

A. Bazin, Qu’est-ce que le cinéma ?
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jason_et_les_Argonautes_(film,_1963)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bernard_Herrmann