Proposons une lecture un poil atypique de la scène inaugurale du premier épisode de House Of Cards qui commence, rappelons-le, par un carambolage: le bizarre incident d’un chien. Un automobiliste renverse un chien de nuit, et part sans demander son reste, deux passants accourent aussitôt pour checker l’état du pauvre animal, passants dont fait partie le député Frank Underwood (notre anti-héros), et constatent que le chien est en train d’agoniser. Alors que Frank a demandé à son acolyte de partir ameuter les propriétaires du clebs, il décide de mettre fin à la vie dudit clébard pour abréger des souffrances qu’il juge inutiles – ce qu’il justifie par son (troublant) premier monologue en regard-caméra.
La cynique sincérité du regard caméra : une hypothèse valable ?
Kunos (chien, en grec) et cynisme ? Jeu de mot ou pas. On serait tenté de voir un mot d’esprit inaugural qui explique la bizarre tension qui nos pousse à nous identifier à Frank, cet anti-héros machiavélique qui fait de tout le monde sa marionnette. Frank, du point de vue de la “Présentation de soi”, est un cynique parfait au sens goffmanien, puisqu’il a bien conscience du rôle qu’il joue (et qu’il interprète à merveille) dans la complexe dramaturgie sociale qui s’élabore sans cesse sur le devant (et dans les coulisses) d’une scène politique faite de “danseurs” (Kundera).
Mais d’où vient le paradoxe ? De la troublante sincérité de ce regard directement adressé à la caméra. Telle est notre hypothèse. Le regard caméra est d’un usage assez peu répandu, quelques films et séries pêle-mêle: des passages de Annie Hall (dont le tout début sur fond jaune, atopique et intemporel, qui est une adresse au lecteur célébrissime, mais aussi des passages intradiégétiques de la fin du film, lorsqu’Alvy Singer prend les spectateurs à témoin de l’impossibilité de trouver chaussure à son pied), ou alors une interpellation provocante du spectateur par Belmondo dans À bout de souffle de Godard (“Vous n’aimez pas la mer, vous n’aimez pas la montagne, alors allez vous faire foutre !”), ou bien le constant jeu regard caméra de la confession amusante et permanente de Malcolm dans la série mainstream éponyme. En effet, paradoxe il y a si Frank étouffe le kunos (chien) qui est étymologiquement à la source de son cynisme (sens goffmanien), dans le même temps où la franchise du regard-caméra, censé être la preuve de son honnêteté (du moins, vis-à-vis du spectateur), le démasque.
Peut-être, subtilement, Frank souscrit-il même à un des critères d’honnêteté exigé par la conversation qu’il maintient et entretient avec le spectateur, il est honnête dans la mesure où il dévoile au spectateur d’emblée son jeu d’hypocrite (hypocrites, l’acteur) sans pour autant se priver de le dissimuler aux autres personnages. Troublante sincérité de ce regard-caméra qui en dit long (au spectateur) en montrant avec honnêteté et en pleine lumière le caractère pourtant bifide (perfide ?) de son protagoniste principal.
D’ailleurs, on retrouve un peu de ce cynisme dans le documentaire de Depardon sur la campagne de VGE de 74, Partie de Campagne, film censuré à sa sortie par le président, documentaire dévoilant alors les coulisses de la campagne de VGE, dévoilant sans fard le jeu d’hypocrite de la communication politique.
Underwood est-il le pendant fictionnel du VGE de Partie de Campagne: un cynique ?
M. PARLONS.