« Ne pensez jamais que Cannes est le plus grand festival du monde mais faites tout pour qu’il le reste » prenait plaisir à répéter Giles Jacob aux commandes du festival pendant près de 40ans. Il est remplacé cette année par Pierre Lescure, l’ancien PDG de canal + qui revendique déjà haut et fort le partenariat qui noue la croisette à la chaine crypté.
Est-ce la fin d’un monde qui est en train de se jouer ici avec le départ de Gille Jacob ? La fin d’un festival indépendant et autonome du quatrième pouvoir ? La fin d’un cinéma subversif et engagé ? La fin de cette frontière étanche qui séparait l’intelligencia cannoise du grand public ? Là où le festival s’interrompt en mai1968, où Marco Ferreri et Antonioni créaient la controverse, où Pialat déclarait son amour à une foule indomptable qui ne voulait pas l’entendre, où Godard boudait les strass et les paillettes, où Kechiche clamait l’exhibition des corps, là où finalement toute une génération de cinéastes et de créateurs préféraient l’art à la reconnaissance.
Rien n’est moins sur pourtant… Si le cycle Women in Motion organisé par le groupe Kering risque d’empiéter sur la programmation, le jury éclectique présidé par les frères Coen devrait nous surprendre. Et le jeune prodige canadien Xavier Dolan sera de la partie. On peut compter sur ces grands voyous indisciplinés du cinéma pour n’en faire qu’a leur tête.
C’est surtout le choix du film d’ouverture du festival qui souligne la passation Jacob-Lescure. A l’affiche La Tête haute, d’Emmanuelle Bercot revient sur le parcours d’un jeune ado turbulent qui ne parvient pas à s’intégrer dans la société. On est bien loin du Magic in the Monnlight de Woody Allen, avec La Tête haute le festival renoue avec le cinéma social de Kechiche ou des frères Dardennes.
Avant tout Cannes doit rester intello, en témoigne la politique de l’organisation qui a invité les participants à bannir les selfies de la croisette. Les selfies c’est la banalisation même de la célébrité, c’est le quart d’heure de gloire à portée de main… Très peu pour nos amis cannois qui sont au-dessus du lot, ce sont des stars des vrais, ils se font tirer leur portrait chez Harcourt et portent des gants blancs. C’est l’image même de Cannes, un des festivals les plus médiatisé du monde qui est attaqué par cette pratique 2.0. Cette année les selfies auront la vie dur, pas sur pour autant que ça dissuade les adeptes du genre d’obtenir un cliché de Xavier Dolan à leur côté…
Cannes c’est un petit monde, personne n’ira dire le contraire. On retrouve chaque année dans la sélection officielle les grands habitués des « marches de la gloire ». Mais on ne peut reprocher au sélectionneur Thierry Frémaux de ne pas faire la part belle à des cinéastes et des films relativement indépendants du star system. En lisse cette année le très mystérieux The Lobster du réalisateur grec Yórgos Lánthimos. Il y a bien une chose qu’on ne peut enlever à la programmation, c’est de proposer des films qui font parler d’eux. Et au pire la catégorie un Certain Regard ou la Quinzaine des réalisateurs seront là pour sauver les déçus de la sélection officielle.
Cannes n’a donc pas fini de nous faire rêver. Au vu des deux grandes semaines de cinéma qui se préparent, le mainstream ne semble pas encore avoir sa place sur le tapis rouge, et c’est tant mieux !
Raphaël Londinsky