Avec Compte tes blessures, Morgan Simon, tout juste sorti de la Fémis nous offre pour son premier film une immersion dans un univers rock, alternatif, plein d’émotion où s’incarne la difficulté de communiquer.
La première scène nous plonge immédiatement dans l’ambiance que le film saura exploité jusqu’à la fin. Dans une atmosphère sombre, Vincent, 24 ans, chante avec son groupe de post-hardcore. Comme le titre l’indique, Vincent souffre, de l’absence de sa mère, de sa relation avec son père, de son manque de communication. Quand son père amène alors une femme qu’il présente comme sa nouvelle compagne, son monde explose.
Pour être tout à fait honnête, ce n’est pas dans l’originalité du scénario que Morgan Simon montre tout son talent. Le jeune réalisateur réussit à rendre ses personnages profonds, puissants et justes. Le personnage principal souffre de la solitude, dans une ville morne où seul son groupe lui permet de tenir.
Relation Œdipienne dans un HLM
Progressivement, Vincent va nouer une complicité avec Julia, la nouvelle compagne de son père. Cette relation, presque malsaine, réactualise le mythe Œdipien et témoigne du manque d’attention du protagoniste principal. Ainsi la complicité devient romance, tandis que la relation avec son père ne cesse de s’envenimer. Julia intègre alors un trio amoureux, coincé entre un père désespérant et un fils désespéré.
Les personnages sont sublimement incarnés par trois acteurs exceptionnels. Kevin Azaïs porte à lui tout seul la profondeur du film, accompagné par Monia Chokri (Les Amours Imaginaires, Laurence Anyways) et Nathan Willcocks. Morgan Simon s’attarde à décrire les émotions, les vies et les caractères de ces trois personnages. Sans jamais les juger, le réalisateur s’immisce dans un univers sombre. Pourtant, caméra à l’épaule, le HLM ne s’imbrique pas dans l’atmosphère du post-hardcore. Il est intéressant de noter le travail réalisé pour transformer l’image du HLM : d’un endroit gris, vide d’âme, le HLM devient alors un endroit de vie, où l’esthétique est travaillée. Les différentes scènes montrant la cuisine, le salon, dans des ambiances pastel sont très intéressantes et dénote intelligemment avec l’ambiance pesante présente dans l’appartement.
La musique au service du malheur
Dans Compte Tes Blessures, le post-hardcore n’est pas choisi au hasard. Il fait partie du film autant qu’il fait partie de la vie de Vincent. La musique incarne autant un exécutoire pour le personnage qu’elle rend palpable la rage présente en lui. Puisqu’il n’arrive pas à parler, Vincent chante. Le choix des chansons n’est pas anodin « I’m cold, I’m so scared/ I have lost my head / I’m lost, I’m afraid / I have lost my head / Can someone take me away». L’absence de communication entre les différents personnages est déconcertante et la musique vient alors la personnifier.
L’histoire tourne autour de l’impossibilité de dire et de montrer à son fils qu’on l’aime. Cette incapacité nourrit le film et le personnage de Vincent. Lui qui est leader dans son groupe, devient discret et sensible face à son père. L’incapacité communicationnelle trouve sa conclusion dans une scène finale aussi belle que réussite.
Un premier film qui n’évite pas certains écueils
Le film souffre de certaines facilités. Si le jeu d’acteur et l’atmosphère portent le film et le rendent très appréciable, quelques éléments ternissent l’image de ce très bon premier film. Dans les dialogues d’abord, je n’ai pas pu m’empêcher de sourire quand Vincent s’écroule devant son père, sombrant alors autant dans le pathos que dans l’attendu : « J’ai l’impression d’être un clochard qui fait la manche, tout ça pour avoir un “je t’aime” de son père, putain.». Pourtant, si ces facilités ternissent le film, il reste pourtant de qualité. On pense alors parfois à Mommy, parfois à Maurice Pialat, autant de comparaisons qui ne présagent que du bon pour l’avenir du réalisateur.
Pour la B.O., pour les acteurs, pour l’atmosphère, on ne saura trop vous conseiller de courir voir Compte tes blessures, en salle depuis le 25 janvier.
David Lecaplain