Le cinéaste argentin Santiago Mitre a encore frappé avec son nouveau film Petite Fleur, qui se déroule cette fois-ci en France. Le réalisateur réunit un trio qui fusionne à merveille. Vimala Pons est pétillante dans le rôle de Lucie, femme pleine de caractère. Elle interprète la compagne de José, joué par David Hendler, un expatrié père au foyer. D’origine Argentine, il ne fait aucun effort pour parler le français à Clermont-Ferrand où ils viennent d’emménager.
La couleur humoristique est annoncée concernant les comiques de mot. Particulièrement lorsque José rencontre son voisin Jean-Claude – méprisant Melvil Poupaud – en dandy imbu de lui-même. Les scènes de cours de français données par Jean-Claude, arrogant comme on peut l’imaginer et particulièrement fier de la langue de Molière, sont amusantes. C’est lors de cette rencontre que tout commence. La routine s’installe. Ce jeudi, José vient emprunter une pelle à son voisin. Celui-ci, passionné de jazz et doté d’une collection de vinyles et de trompettes, souhaite partager sa passion avec son nouvel ami. Entre quelques reprises linguistiques sur les mots français que José peine à prononcer, il démarre le titre Petite Fleur de Sidney Bechet sans se douter de ce que la mélodie va déclencher chez José. Pris d’une pulsion qui trouve sans aucun doute sa force dans le mépris et l’insolence qu’il a subi de la part de Jean-Claude, il prend ni une ni deux la pelle et l’enfonce dans la gorge de ce dernier.
Il l’a tué. Et il le tuera encore. Car plus tard, il croise à nouveau Jean-Claude au volant de sa superbe voiture, aussi arrogante que lui. Il retourne chez lui, le tue une seconde fois au rythme de Petite Fleur. Encore et encore. Tous les jeudis. Voisin, hautain, dédain, Petite Fleur, assassin. Entre humour, rythme et mise en scène dynamique, on commence à prendre plaisir à voir ce méprisant voisin se faire égorger, découper, empoisonner et la liste est longue.
Après les cours de français, c’est les cours d’œnologie par lesquels Jean-Claude impose son personnage condescendant. Notre Petite Fleur devient délicate et raffinée à l’instar de la scène de dégustation de vin que nous offre Santiago Mitre. Melvil Poupaud enseigne le savoir-déguster du pays viticole dans une scène grotesque, en accord avec lui-même. Entre faire tourner le verre, le premier et le second nez mais surtout le bruit de l’aspiration en bouche du rouge en question, tout est réuni pour nous faire passer un moment burlesque. Anecdote : le vin bu en question sur le tournage n’était pas d’un aussi grand cru comme ce qui est avancé dans le film. La scène n’en est pas moins prestigieuse, loin de là. Mais la couleur du vin a pu préoccuper Melvil Poupaud qui a pensé que certains connaisseurs n‘allaient pas tomber dans le panneau. Alors, qui s’est fait avoir ?
Passons à un temps soi peu d’interprétation. Halte là si vous n’avez pas encore vu cette comédie meurtrière. Le thème de la routine est abordé à la fois comme un problème et une solution. La routine du couple s’installe. La routine meurtrière aussi. Seulement c’est la seconde qui va aider la première à renaître. Avant ses pulsions funestes, José était l’acteur passif du couple, le dominé. Très peu d’initiatives de paroles, il est très discret à parler bas, la conversation est toujours guidée par sa femme qui s’impose clairement. Elle travaille, lui est homme au foyer. Souvent dans la retenue, il a besoin d’un déclic pour s’imposer et prendre les choses en main. Quoi de mieux qu’un homicide hebdomadaire pour prendre confiance ? La routine répond à la routine. José en fait d’ailleurs l’éloge lorsqu’il récupère Lucie qui l’avait quitté. On ne l’aura jamais vu aussi affirmé et sûr de lui dans son discours et son attitude. C’est ainsi qu’elle le rejoint dans son habitude figée, après l’avoir pris pour un fou quand il lui a raconté la résurrection de son voisin chaque jeudi. Il faut croire qu’on y prend goût à cette sauce rouge. Si les bénéfices de la routine ne sont pas appréciés par tout le monde, c’est bien ce qui sauve le couple ici.
Revenons sur cette résurrection de notre cher Jean-Claude. La première approche que l’on a du personnage avant de connaître son nom et prénom sont ses initiales. C’est par JC sur l’interphone que nous est introduit le fameux voisin. En plus du jeu sur l’onomastique, le lien christique avec le personnage est très fort. Il offre son vin et son corps à son prochain. Il se sacrifie pour sauver le couple de José. C’est même lui qui l’incite au meurtre dans certaines mesures. Il est à l’initiative de l’annonce musicale mortuaire constamment. Également, après que José ait par mégarde cassé son verre devenu bien dangereusement tranchant, JC lui demande de placer bien en évidence la future arme de son propre crime. Bonté divine…!
Pourtant, le personnage salvateur est déjà officiellement présenté comme tel et, surprise, ce n’est pas notre JC. C’est le rôle de Sergi López interprétant le gourou Bruno appelé à l’aide par Lucie. Charlatan de première, il dirige plutôt une secte de fidèles qui portent bien leur nom. Ces derniers vont jusqu’à refuser de l’aider lorsqu’il est en train de se faire étouffer par José – petit exercice qui semble normal pour la communauté – car leur gourou leur a précisé de ne bouger sous aucun prétexte. Même lorsque la mort le tient par le cou. Dangerosité idolâtre nous voilà. Celui qui se fait passer pour le maître spirituel n’est qu’un escroc. En revanche, le personnage imbuvable n’est ni plus ni moins que le sauveur. JC, le Christ déguisé en dandy remplit ainsi le rôle du héros de cette comédie qui aura sauvé le couple grâce à une hebdo sanglante. Assertion pittoresque, peut-être. Mais assertion qui trouve ses preuves, certainement.
Remplie de mystères encore non élucidés, cette comédie est intéressante à interroger, autant du point de vue scénaristique que métaphorique.
Léna Couvillers