La mort et le deuil sont des sujets récurrents dans les films – difficile d’en trouver un qui n’aborde pas ce sujet, de près ou de loin, avec plus ou moins de succès. Pourtant, les films « pour enfants » (sans jugement de valeur, ce n’est pas parce qu’un film est destiné à un public jeune qu’il ne peut pas être apprécié par des adultes) semblent à tout prix vouloir éviter de l’aborder. Une logique un peu conservatrice, disons même un peu bête, qui veut que les enfants soient traités comme des petits êtres fragiles dont il faut à tout prix préserver l’innocence – d’où l’absence de sang, de nu ou de mort à l’écran dans la plupart de ces films. Pourtant, en y réfléchissant bien, la mort est-elle si souvent absente du cinéma pour enfants ? Un film dit « niais » peut très bien voir un personnage mourir sans que cela n’entache sa réputation, de même que certains films pour enfants sont de magnifiques réflexions sur le sujet (au risque d’alors perdre leur étiquette « pour enfants »…). Un paradoxe, vraiment.
La mort comme lancement de la quête du héros
Dans le petit tour non-exhaustif du traitement de la mort dans les films pour enfants, celui-là est sans doute le plus fréquent, pour la simple et bonne raison qu’il permet d’accorder un petit ton mature à l’histoire sans pour autant s’appesantir outre mesure sur le processus de deuil. C’est le schéma classique des films Disney, dont le dernier exemple en date n’est ni plus ni moins que le très populaire La Reine des Neiges.
Petit rappel pour ceux et celles qui ne connaîtraient du classique Disney que Libérée Délivrée : Elsa et Anna sont deux sœurs très proches l’une de l’autre, jusqu’à ce que la plus âgée, Elsa, blesse sa cadette à cause de ses pouvoirs magiques incontrôlables. Ni une ni deux, leurs parents décident d’interdire à l’enfant prodigue d’utiliser sa magie, ce qui est tout de même une belle preuve de pédagogie parentale. Ainsi, Elsa se renferme sur elle-même et refuse de toucher qui que ce soit, ce qui l’amène à s’éloigner non seulement de ses parents, mais aussi de sa sœur adorée. Il faut un élément dramatique pour débloquer la situation et faire avancer l’histoire : les réalisateurs Chris Buck et Jennifer Lee font donc mourir les parents des deux princesses lors d’une tempête en pleine mer : on n’assiste qu’au naufrage du bateau, jamais à la mort à l’écran du roi et de la reine, leurs filles sont effondrées, chantent un peu, regardent le sol d’un air triste puis hop ! ellipse, on se retrouve trois ans plus tard le jour du couronnement d’Elsa (eh oui, c’est bien pratique d’être orpheline quand on est une princesse, on peut accéder au pouvoir tranquille), l’histoire peut s’enchaîner, les parents ne sont plus jamais évoqués. L’ellipse évite de traiter la délicate période de deuil immédiat, on n’a juste le droit à une petite séquence d’enterrement histoire de, et c’est tout. Le but n’est donc pas de traiter la mort en tant que soi, ni même d’en parler, mais simplement de l’utiliser comme trampoline afin de faire rebondir ou commencer l’histoire.
Même processus dans Le Roi Lion de Roger Allers et Rob Minkoff, par exemple, où la mort de Mufasa (pour tragique et traumatisante qu’elle fût) n’est jamais évoquée autrement que comme moteur du héros, afin de le faire grandir et de lui donner ensuite un but de revenir en Terre des Lions (à savoir se venger de son grand méchant oncle assassin de son papa). Certes, Le Roi Lion fait ça de manière un peu plus subtile que La Reine des Neiges (Simba est constamment poursuivi par la peur de ne pas être à la hauteur de son géniteur, ce qui est en soi sacrément triste), mais la mort en elle-même n’est qu’un élément adjacent au récit.
Cette technique n’est cependant pas l’apanage des films Disney. Les enfants de la pluie, de Philippe Leclerc (par ailleurs un petit chef-d’œuvre), utilise la mort de la mère et du père du héros comme déclencheurs de l’histoire, en évitant soigneusement le temps qui suit le traumatisme, soit par l’ellipse, soit parce que la mort précède le récit (le père meurt avant le début du film). Le héros est donc motivé par la rancœur et le désir de vengeance, il a un but, l’histoire peut se construire et se développer autour de sa quête. En plus, ça évite de montrer un protagoniste purement bienveillant voulant restaurer la paix du monde parce que c’est bien et que c’est chrétien, ce qui, avouons-le, serait quand même sacrément barbant.
En un sens, la mort permet au héros d’être exceptionnel avant même qu’il ne le soit par ses actions au cours du film. On comprend qu’il a souffert, qu’il a vécu quelque chose de terrible et de tabou et que cela lui donne de la force. La mort n’est donc ni effrayante ni traumatisante, elle est source de réflexion et de développement de soi. La douleur pure qui en résulte, et les différentes manières de l’aborder, sont souvent limitées au niveau du sous-texte et de l’implicite, voire carrément oubliées. Et, petit bonus non négligeable, le héros est libre, il n’a de comptes à rendre à personne d’autre qu’à lui-même et il n’a pas à se préoccuper de rassurer ses parents pendant qu’il combat le grand méchant. C’est pour cela que la mort comme lancement de la quête du héros touche avant tout les parents d’un personnage, et presque jamais ses amis, son amour ou sa fratrie : les adultes sont figures de puissance et d’autorité, mais aussi de limitation de l’action. Et puis tous les héros sont orphelins, de toute façon, alors pourquoi changer une équipe qui gagne ?
Cela ne veut pas dire que le traitement de la mort dans les films pour enfants est aberrant et irrespectueux. On y évite au moins le trope du décès parfaitement injustifiée d’un personnage secondaire (souvent issu d’une minorité, parce que les hommes blancs cis hétéros sont invincibles comme chacun sait) afin de « choquer » le spectateur et renforcer son intérêt pour l’histoire (coucou The 100).
Equilibre sous couvert d’innocence
Il serait toutefois faux de dire que les films pour enfants ne font qu’éviter ou utiliser le sujet de la mort et du deuil. Certains très beaux films en font même leur fer de lance, celui qui va porter et conduire toute l’histoire. Les exemples sont en fait nombreux (Là-Haut de Pete Docter et Bob Peterson est sans doute le film le plus connu du genre sur le deuil, puisqu’il traite du retour progressif à la vie d’un vieil homme ayant perdu sa femme à travers un voyage – littéral – à travers le ciel).
J’aimerais toutefois parler de deux autres films, moins connus certes, mais particulièrement émouvants et justes.
Le premier est Le secret de Térabithia de Gábor Csupó est tiré d’un livre de Katherine Paterson, Le Pont de Térabithia, qu’elle a écrit pour son jeune fils qui devait faire face à un deuil soudain. L’histoire suit les aventures de Jess et Leslie, deux pré-adolescents qui se sentent piégés par leur réalité et tentent d’y échapper en s’inventant un royaume fantastique dans les bois. Difficile de parler du film sans dévoiler l’intégralité de l’intrigue, mais disons tout simplement que si un film rend bien compte du caractère inattendu, brutal et fondamentalement violent de la mort, c’est bien Le Secret de Térabithia. Et ce, malgré son étiquette de film « pour enfant ». Pour autant, jamais il ne cède à la tentation de l’édulcoration, et livre une très belle réflexion sur les premières étapes du deuil (notamment le déni et la colère). Et ce, tout en proposant un univers féérique et magnifié, comme vu aux travers des yeux d’un enfant, et sans jamais tomber dans le tire-larme perpétuel – preuve que l’innocence et l’optimisme sont plus forts que la mort. Fort.
Mais le film qui me semble le plus juste concernant ce sujet demeure un petit bijou de l’animation française, le méconnu Tout en haut du monde. Rapide synopsis : Sasha est une jeune aristocrate russe dont le grand-père, grand explorateur dans la veine des Cousteau et autres Marco Polo, a disparu en explorant le Pôle Nord pour le compte de son pays, et ce malgré son bateau insubmersible. La famille de Sasha tombe alors en disgrâce. Afin de restaurer son honneur, la jeune fille part donc dans une quête insensée pour retrouver le bateau de son grand-père – poussée par le désir irrationnel, presque enfantin, que ce dernier ait survécu aux glaces du Pôle. Tout y est – une animation originale et poétique, une héroïne éblouissante, une bande-son à couper le souffle et, sous la surface, le déni, qui est sans doute le fil rouge sous-tendant tout le film. C’est dans Tout en haut du monde qu’on peut voir ce qui est sans doute l’un des plus beaux plans sur l’acceptation de la perte, sans toutefois l’effacer.
Les enfants n’ont pas le bagage émotionnel et le recul des adultes, c’est vrai. Leur sensibilité doit être préservée du mieux possible, c’est vrai aussi. Mais qu’on ne vienne pas me dire que les films qui leurs sont consacrés ne sont pas capables de parler de sujets tabous, et, qui plus est, d’en parler avec brio. Et si des sujets aussi traumatisants que la mort et le deuil peuvent être abordés de manière si juste et intelligente, pourquoi n’en serait-il pas de mêmes d’autres sujets « choquants » que les enfants ne peuvent de toute façon pas ignorer – l’homosexualité, le handicap ou la guerre, par exemple ?
Margaux Salliot