S’il y a bien un film qu’il faut revoir dans ces temps anxiogènes où l’intimidation nucléaire se fait plus menaçante que jamais, c’est le brillant Docteur Folamour ou : comment j’ai appris à ne plus m’en faire et à aimer la bombe de Stanley Kubrick. Comme l’a dit l’un des critiques du film,Ludovic Stoecklin, « c’est l’un des meilleurs remèdes face au pire des maux ». Puisque l’arme atomique est la machine du Jugement dernier et donc la création la plus absurde de l’homme car elle ne peut que détruire son créateur. Puisque des êtres humains croient encore aujourd’hui pouvoir maîtriser rationnellement une arme si irrationnelle, alors il est mieux de rire avec Kubrick et le suivre dans sa satire mordante de l’équilibre de la terreur entre l’URSS et les États-Unis durant la Guerre Froide. Réalisé peu après la crise des missiles de Cuba durant laquelle le monde a frôlé de peu l’apocalypse nucléaire, le film raconte comment un général américain fou et paranoïaque déclenche une frappe atomique sur l’URSS et les efforts faits ensuite par les deux puissances pour éviter une destruction générale du monde.
Film hilarant et provocateur, la première scène pose très rapidement le ton : on assiste au ravitaillement en vol d’un avion par un autre grâce à un cordon un fond musical léger qui font une scène sexuelle extrêmement originale. Puis on découvre une litanie de personnages hilarants allant de l’ancien scientifique nazi faisant des efforts pour réprimer des saluts nazis rendus automatiques par sa prothèse jusqu’au cow-boy américain qui jubile en chevauchant une bombe atomique lancé sur le territoire soviétique.
Au-delà de l’excellence d’une critique de l’incompétence des politiciens et de l’absurdité criminelle des projets et des réalisations des complexes militaro-industriels. Docteur Folamour témoigne aussi très justement du non-sens des doctrines d’emplois de l’arme atomique pour l’humanité. La folie du général américain entraîne le lancement de bombardiers stratégiques nucléaires chargés de noyer l’URSS sous un feu de bombe obligeant ainsi un dialogue stratégique entre le président américain et le président soviétique pour éviter l’apocalypse. Pourtant, pour que la dissuasion nucléaire fonctionne, il faut que l’ennemi soit assuré qu’en cas d’attaque nucléaire, il s’exposera de manière inévitable à une réplique. Cette logique de la dissuasion pousse dans le film les Soviétiques a développé un système de défense autonome et inarrêtable (the Doomsday machine) qui rend automatique le déclenchement de l’holocauste nucléaire en cas d’attaque de l’URSS. Et donc la folie d’un homme entraîne le renversement du monde sur fond de We’ll Meet Again, chanson emblématique de la Seconde Guerre mondiale. Film intelligent et drôle au possible, Docteur Folamour mérite sa place au panthéon des chefs-d’œuvre de l’histoire du cinéma par sa qualité et sa pertinence contemporaine.
Par Lucas Ryser