Donald Trump et le cinéma, quand la politique influence le septième art

Après la périlleuse défaite du président des États-Unis aux élections présidentielles, retour sur les années Trump et leur impact considérable sur le cinéma américain. A l’heure où sonne la fin, douloureuse apothéose de quatre longues années d’un règne absurde et dévastateur, le bilan se fait sur grand écran.

Le cinéma, c’est un prisme sur la vie, sur le réel. Il se nourrit du monde et des hommes qui l’habitent. Rien d’étonnant alors à ce qu’un des présidents les plus controversés de l’histoire des États-Unis puisse avoir eu (ou aura) une influence sur le septième art. Donald Trump a marqué les esprits, soulevé les cœurs et pour Danièle André, maître de Conférences en civilisation et cultures populaires des États-Unis d’Amérique, sans aucun doute, il laissera sa trace dans l’histoire jusque sur les grands écrans.

Quelle influence Donald Trump a-t-il pu avoir sur le cinéma lors de son mandat ?

Danièle André – Bien évidement tout dépend de quel cinéma. Chaque changement de président entraîne une modification dans les films et les séries, surtout les films hollywoodiens. Le président est avant tout à l’image du pays et le cinéma hollywoodien va représenter toutes les valeurs et les tendances qui sont présentes aux États-Unis. Les mouvements politiques ont toujours influencé le monde du cinéma, mais le mandat de Trump vient tout juste de s’achever et il reste encore à voir ce que le cinéma produira dans les années a venir. Pour l’instant son influence n’est pas clairement visible dans le cinéma américain. Les films sortis en 2018 ou 2019 ne sont pas significatifs, mais dans les séries et les émissions satiriques, on retrouve la figure de Trump.

Du point de vue du public, son influence est significative. Certains films ne sont pas ressentis ou interprétés de la même façon, parce qu’il y a eu Trump. Quand on prend l’exemple de la Servante écarlate (série dystopique qui dépeint une condition de la femme aux droits restreints), on retrouve des résonances avec Trump, avec sa misogynie. Le phénomène Trump a aussi eu un impact sur des choses qui ne sont pas directement liées au personnage en lui-même mais à des problématiques présentes depuis un certain temps comme la privation de libertés, l’émergence de mouvements religieux, souvent radicaux, des thèmes qui sont dans l’air du temps. Trump n’est pas arrivé par hasard, son élection est le fruit de l’émergence de ces tendances. Quand elles sont traitées par le cinéma, qu’on les voit sur le grand écran, on a tendance à les associer directement à Trump, alors qu’elles étaient déjà présentes depuis longtemps.

Aujourd’hui, le cinéma va mettre en avant l’Amérique de Trump, tous ces mouvements qui ont mené l’homme au pouvoir : l’invisibilité de certaines classes sociales, les peurs liées à une situation sociale et économique, le retour aux valeurs traditionnelles lié aux attentats, au terrorisme international, la montée de mouvements religieux, tous ces éléments qu’on associe aujourd’hui à Trump, mais qui l’ont précédé. Les films tournés sous le mandat de l’ancien président des États-Unis ont bien évidemment un regard critique sur cette Amérique.

D’autre part, les relations internationales des Etats-Unis ont souvent un effet direct sur le cinéma hollywoodien en ce qui concerne les « vilains ». À l’époque de la guerre froide, les ennemis du héros américain étaient souvent soviétiques ou communistes. Après la chute de l’URSS, les vilains ont évolué et sont devenus des personnages du Moyen-Orient. Aujourd’hui, Trump a engagé un important rapprochement avec la Russie, alors que les relations avec la Chine sont très tendues. On va donc sûrement retrouver dans les films sous l’ère Trump, des vilains d’origine chinoise.

Source : premiere.fr

Le mandat Trump a-t-il vu augmenter le nombre de film critiques vis-à-vis du pouvoir ?

Danièle André – Quand on étudie le cinéma, on se rend compte que les films prennent l’air du temps. Hollywood tout autant. Leur but est de brasser assez large pour optimiser les bénéfices. C’est ainsi qu’on voit davantage de films critiques dans le cinéma de moins grande ampleur, par exemple parmi les films indépendants à petit budget. La crise sanitaire a et va donner lieu à ce genre de films satyriques de la présidence Trump, mais il y aura aussi des films dans le sens inverse, ceux qui vont privilégier des intérêts économiques. A mon sens, c’est tout de même une surprise qu’il n’y ait pas eu plus de films critiques pendant les années de son « règne ».

Mais il faut se rappeler que faire un film prend du temps. La personnalité de Trump étant tellement binaire, et même s’il est difficile de se projeter tant les intérêts économiques diffèrent, on peut quand même supposer qu’il sera prochainement la cible de films politiques engagés. Par analogie, sous Carter et Regan, il y avait eu un véritable changement dans le cinéma, mais c’était une autre époque. Maintenant, ce sont les séries qui reflètent davantage les enjeux politiques du pays. Elles attirent les spectateurs en masse. Les critiques sur Trump dans le cinéma seront surtout présentes dans les films des festivals de cinéma indépendant comme Sundance. Les films hollywoodiens suivent avant tout la politique des USA et présentent des films qui vont reprendre les valeurs portées par le gouvernement.

Hollywood répond uniquement aux gros enjeux économiques. Si les acteurs de cet écosystème sont en grande majorité démocrates, l’enseigne du cinéma américain est d’abord une maison de production, c’est une machine économique. Pour faire de l’argent, Hollywood s’accorde à la pensée majoritaire du public, il veut vendre quelque chose qui l’amènera jusque dans les salles de cinéma. Trump a donc tout de même un fort soutien, à travers le public qui partage ses idées et qui tire indirectement les ficelles de l’industrie américaine du cinéma. Certains vont même jusqu’à dire que la politique est à Hollywood et le spectacle à Washington.

Il est par ailleurs difficile de savoir si ces films ont pu avoir un quelconque impact sur les élections présidentielles américaines. Nous sommes attirés par des films qui sont en accord avec nos propres valeurs, qui ont tendance à renforcer des idées déjà bien ancrées chez une grande partie de la population. Par exemple, à propos de la saison de la série American horror story dédiée à la politique, au populisme et de façon plus ou moins déguisée au trumpisme, son impact va dépendre des personnes qu’elle a pu toucher, de leur bord politique. Je doute qu’une fiction puisse réellement influencer à ce point des choix politiques, même si elle permet de faire évoluer la société et de faire réfléchir ses citoyens. En fin de compte, elle n’aura d’influence que sur une partie de la population éduquée à remettre en cause l’ordre établi, à développer un œil critique.

Bande annonce de la saison 7 d’American Horror Story : CULT

Trump a-t-il participé à créer une nouvelle figure du président dans le cinéma ?

Danièle André – Certains réalisateurs pourraient dans l’avenir représenter des personnages inspirés de Trump. La présidence de Kennedy a énormément marqué le cinéma, surtout après sa mort. En Europe notamment, on observe depuis Trump la montée de films avec des personnages qui appellent à la population comme Trump, qui soutiennent le populisme. Principalement des personnages qui posent problème. En appelant à la peur, au nationalisme, au racisme. Avec eux, on retourne au « travail, famille, patrie », on retourne aux idéaux de Trump. Il est devenu une nouvelle figure de président au cinéma, car même s’il tend vers celle de Nixon, notamment pour les procès qui pourraient l’attendre à la fin de son mandat, il a la spécificité d’être le premier président à avoir autant fait usage des réseaux sociaux. C’est aussi le symbole du président autocrate, seul au pouvoir. Certains vont le représenter comme quelqu’un de fou, d’autres vont insister sur le fait que c’est une véritable volonté d’être autocrate.

Ce qui le différencie aussi de Nixon, et ce qui différenciera sa représentation au cinéma, c’est cet amour que la population lui porte. 72 millions d’américains ont voté pour lui, il a su parler aux Américains. Le peuple américain s’est identifié à ce président, ce qui n’avait pas été le cas avec Nixon. Son élection aura eu l’avantage de ramener sur le devant de la scène un problème trop souvent minoré : les américains sont persuadés que leur système est parfait, même s’il est questionné depuis plusieurs années. Le mandat Trump va sûrement relancer des films au figures plus métaphoriques qui vont questionner ce système électoral : Comment un candidat vient-il au pouvoir ? Quel problème peut poser le refus d’obéir aux règles tacites ? Son refus de quitter le pouvoir sera sûrement aussi abordé. D’autres films vont probablement s’intéresser aux coulisses de la machine politique. Au cinéma comme en politique, Donald Trump n’a pas fini de faire parler de lui.

Lise Cloix