« Vous me donnez une heure et un lieu. Je vous donne un créneau de 5 minutes. Pendant ces 5 minutes, je ne vous lâche pas. Quoiqu’il arrive. J’interviens pas pendant le braquage. Je ne porte pas d’arme. Je conduis. ». L’homme a la parole lente et laconique, il porte une veste sur laquelle est brodé un scorpion doré. Etonnant. Le type en question (nous ne saurons jamais son nom) a une vie bien remplie : cascadeur pour Hollywood et mécanicien le jour, il se transforme en chauffeur privé pour les malfrats la nuit. Taciturne et mystérieux, il s’enamoure de sa voisine dont le mari sort de prison en étant lesté de quelques dettes. Il décide alors de l’aider avec sa conduite pour seule arme.
Le film de Nicolas Winding Refn est une réussite en clair-obscur, teintée de mélancolie rêveuse et d’une brutalité inouïe. Dotée d’une photographie irréprochable et d’une mise en scène particulièrement soignée le succès de l’œuvre tient également dans l’utilisation de la bande-son constituée de morceaux signés Kavinsky, Desire, Youth Electric ou encore Cliff Martinez. Devenu un tube planétaire après la sortie du film, Nightcall inaugure un des plus beaux génériques jamais réalisé dans l’histoire du cinéma. La synthwave du français s’intègre parfaitement dans cette ambiance très eigthies, laissant s’enchaîner avec élégance les plans surmontés d’une police rose qui n’est pas sans rappeler l’univers violent et cocaïné de GTA vice City. Loup solitaire au volant de sa Chevrolet Malibu il arpente avec un certain lymphatisme les rues de Los Angeles dans la nuit noire, il est la figure emblématique du cavalier chevauchant sa monture à jamais fidèle, le solitaire muet des temps modernes. Sous l’effet de ces sonorités la mégapole Californienne prend un autre visage, elle est une actrice à part entière, crépusculaire et mystérieuse, enveloppée par l’obscurité et protégée par ses buildings immenses aux allures de phare guidant les noctambules égarés.
Asocial ? Certainement. Sibyllin ? Assurément. Humain ? Tout autant. Car bien que le personnage interprété par Ryan Gosling soit taciturne il n’en reste pas moins doté d’émotions. Pendant la durée de réparation de la voiture d’Irène (sa voisine) le « driver » décide de l’emmener, elle et son fils, faire un tour en voiture sur les canaux artificiels et asséchés de Californie. Cette scène magnifiée par le titre A Real Hero (Youth Electric) montre tout l’aspect humain de sa personne. Lui, qui n’a aucune famille, (ce n’est pas précisé) se rapproche d’eux et instaure un début de relation. Pourquoi ne pas faire un bout de chemin à trois ? Baigné par la lumière solaire de la côte ouest, à l’ombre des saules jaunis par la chaleur et le manque d’eau, cette scène est un petit moment d’éternité pour qui saura le voir. D’une sincérité à la fois tendre et touchante, la musique nous berce dans ces parenthèses de vie que l’on sait éphémères.
Entre musique nostalgique surannée et morceaux atmosphériques l’œuvre se crispe par le biais d’une kyrielle de sons plus conceptuels réalisés par Cliff Martinez (également auteur de la bande son d’Only god forgives). Des sons plus durs et abstraits qui cristallisent toute la tension dont peut regorger le film à certaines périodes, amenant une dissonance intéressante. Cet enchevêtrement de styles divergents mais compatibles exposent toute la maîtrise du réalisateur quant à l’utilisation de la musique dans l’art cinématographique.
Pour finir en apothéose Refn nous gratifie une seconde fois du morceau de Youth Electric, comme pour boucler la boucle. A Real Hero ici se prête parfaitement aux circonstances, le driver a été celui qui donne sans rien attendre en retour mais également l’ange exterminateur symbole de l’amour et de la brutalité des hommes. La scène est transcendée, voire transfigurée par la mélodie, le visage éclairé par la lumière divine, Gosling est assis dans sa Chevrolet, le ventre meurtri par les coups de couteau. Son visage est serein, orné du léger rictus au coin des lèvres du délivré. Délivré de l’emprise de ses assaillants et du cœur d’Irène qu’il ne reverra plus, il se contente d’attendre la porte ouverte pour reprendre la route, seul, pour fuir un destin qu’il n’a pas souhaité.
Martin Blanchet