Si ma génération correspond officiellement à la génération Y, on ne peut qu’en déduire que celle qui est en approche est la génération Z (officiellement nommée ainsi pour Zapping). Autrement dit, la génération qui passe d’un divertissement à un autre, d’un média à un autre, d’une série à une autre sans prendre le temps d’en savourer une seule. C’est bien cette notion de zapping qui m’intéresse ici pour le cas du zombie sur grand et petit écran. En effet, il ne peut pas y avoir plus vieux ou moins révolutionnaire que le thème du zombie. Il ne peut pas y avoir plus achevé que le thème du mort-vivant de nos jours. Pourtant, nous voyons renaître ce thème depuis quelques années dans l’univers cinématographique et télévisuel, alors que nous le jugions définitivement enterré. Comment le Zombie a-t-il su se renouveler au XXIème siècle pour pouvoir devenir un thème central du cinéma et de la série TV ?
Origine du virus
Le zonbi (mot originaire d’un langage créole d’Haïti) est un être humain vivant ou mort, dont une partie du cerveau est détruite et qui devient de fait l’esclave d’un sorcier vaudou. Notre zombie occidental, lui, possède une démarche claudicante, une folle envie de goûter votre corps cru ou votre cerveau ainsi qu’un grognement incessant provenant du fond de sa gorge. Nous allons plutôt nous intéresser à celui-ci. Habits sales, dents en avant, un bras ou deux en moins, on en connaît tous.
Dans le cinéma, le Zombie ou le mort-vivant a toujours plus ou moins existé. Démocratisé en 1968 par George Romero avec sa « Nuit des morts-vivants », le Zombie apparaît pourtant bien avant. Il faut croire que le mort pas vraiment mort a toujours fait fantasmer les réalisateurs du XXème et du XXIème siècle. Pourtant, il me semble que le Zombie, a récemment recommencé à faire parler de lui et à attirer le public. Comment expliquer alors cet engouement nouveau pour lui ?!
Le Zombie nous renvoie à notre propre finalité sur cette terre, à une vie après la mort pas vraiment chrétienne, ainsi qu’aux limites de notre survie. Voici les principaux thèmes abordés dans le cinéma. Seulement, si ce « nouvel engouement » était dû à ces thèmes, il y aurait eu un succès constant de ce type d’œuvre depuis leur existence. Or ce n’est pas le cas. En seconde lecture, Romero se sert de l’horreur du Zombie pour dépeindre de façon critique la société occidentale, comme une société consumériste et capitaliste. Elément qu’il dit ne pas retrouver dans Walking Dead et World War Z par exemple. Ce n’est donc pas pour « l’intérêt critique » de la société que le Zombie est victime de succès. Si ce dernier n’en finit plus de faire parler de lui (encore deux films de ce genre devraient sortir d’ici 2016) c’est grâce à un changement radical de style d’expression, que ce soit dans le fond ou la forme.
Une Propagations aux multiples symptômes
Le Zombie arrive dès les années 2000 à se décliner sous plusieurs formes. Tout d’abord, finie l’action brute où les héros doivent courir sans cesse et où leur vie est menacée à chaque seconde. Nous assistons à une véritable transformation du discours : le livre World War Z, est écrit comme le recueil de témoignages d’une pluralité de personnages vivants. Le discours dans ce livre est donc post-événementiel et il n’y a aucune scène d’action dans le présent, seulement une narration et une multitude d’énonciateurs. La plupart des témoignages proviennent de personnages que l’on ne retrouve pas dans le reste du livre. Là aussi, on remarque une rupture par rapport au schéma classique qui consiste à s’attacher à un nombre réduit de personnages. Le film, malgré ses différences avec le livre, essaye de nous montrer, lui aussi, la pluralité des points de vue, au travers d’un enchaînement de lieux géographiques et de dialogues. Le premier livre de Max Brook, auteur de World War Z, s’intitulait Guide de survie en territoire Zombie. Là aussi on retrouve un décalage total avec une action trépidante et des personnages que l’on pourrait suivre. En effet, dans ce livre-là, il n’y a aucun personnage, seulement une suite de conseils pragmatiques. Le décalage est tel que cela en devient même plus crédible qu’une action fictionnelle car le ton étant neutre et à visée pratique, comme un manuel de bricolage, cela en devient glaçant.
La série Walking Dead essaye de plus en plus de s’extirper du « méchant » Zombie affamé en nous montrant les véritables dangers et conséquences d’un tel événement : règne totalitaire du Gouverneur, grande épidémie virale dans la prison, personnages virant à la folie ou cannibalisme. Durant la saison 3, sur 17 morts, 14 ont été causées par des hommes « vivants » et seulement 3 par des zombies (hommes morts). La bande dessinée à l’origine de la série, est elle aussi de plus en plus axée non pas sur les « walkers » mais sur les Hommes. De même, dans la série iZombie
il s’agit seulement d’une histoire racontée par un zombie, et son état vivant/mort constitue un élément de plus en plus central dans l’intrigue de la série.
En plus d’un changement de discours et d’un changement de l’action, nous pouvons également observer un changement de ton. La série Z Nation est réalisée de façon tellement exagérée et grotesque, qu’il n’en existe qu’une seule lecture possible : celle du comique. Cette fois, le zombie ne sert plus d’horreur, ou de prétexte à l’arrivée de quelque chose de terrifiant. Un peu comme si on se servait de ce qui fait le moins peur au monde pour en faire un film d’horreur. Stephen King en est le
maître (clown, hôtel, voiture, chien, petite fille). Là aussi cela marche très bien : Shaun of the dead rend l’invasion zombie totalement délirante, en plongeant nos deux héros dans des scènes improbables. Plus que cela, le scénario pousse l’absurde au maximum car le personnage de Shaun ne s’aperçoit qu’extrêmement tard de la réalité de la situation et se refuse dans un premier temps à les appeler « Zombies ».
On peut aussi citer Bienvenue à ZombieLand, qui joue totalement avec les codes de l’action présente, d’un discours à la première personne, mais avec un ton tellement décontracté que l’intérêt même du film réside dans sa déconstruction volontaire du rôle classique du Zombie. On peut donc maintenant parler beaucoup plus d’un mélange de genres. Qu’il soit comique, policier ou sous forme de témoignages, le Zombie se cuisine à toutes les sauces de nos jours.
Un horror-Soap-Opera : le cas Walking Dead
Le Soap-opéra, ou série dramatique de petite envergure, nous sert du drame familial à volonté. On pense tout de suite aux Feux de l’amour ou encore à Desperate Housewives. Selon George Romero, Walking Dead ne serait pas une série de zombies, mais un soap-opéra.
Walking Dead, avant de parler de zombies, parle avant tout de Rick Grimes et de son fils Carl. L’auteur et le producteur de la série, Robert Kirkman, explique que ce qui compte avant tout, c’est de voir les interactions possibles de Rick Grimes et de son fils avec d’autres personnages. Le « walker » n’est ici qu’un prétexte. A tel point que celui-ci ne porte jamais le nom de zombie que ce soit dans la BD ou dans la série. Il y a une volonté de détruire ce nom en le remplaçant par une multitude d’autres plus ou moins subtiles (« walkers », « roamers », « herd », « lurkers », « floaters », « biters »). Pour ce qui est des interactions sociales et des intrigues dramatiques de séries B, nous en avons à la pelle : violences conjugales (Carol et son mari, ou plus récemment Jessie Anderson et son mari), adultère (Shane et Lori), doutes sur la paternité de Rick (à propos de Judith), religion et acceptation d’inconnus (Hershel), éducation (Carl)… etc. C’est justement cette surreprésentation de notre société moderne qui rajoute du réalisme et du corps à la série.
Walking Dead explore également la question du lien social. Il existe dans cette série une polyvalence des échanges. Chaque personnage principal a un lien très fort et unique avec un autre. Ce lien social peut être dû à trois facteurs additionnels. Il peut y avoir un lien familial ou antérieur à l’arrivée des zombies : Rick et son fils Carl ou Tyreese et sa sœur Sasha. Ensuite, ce lien social peut être causé par un enchaînement d’actions dû au hasard qui favorise l’intimité d’un nombre réduit de protagonistes. Il nous est montré une pluralité de petits groupes composés de personnages se connaissant relativement peu entre eux : Glenn et Tara dans la saison 4, Sasha et Abraham dans la saison 6, Daryl et Beth dans la saison 4 ou Maggie et Aaron dans la saison 6. Généralement, ce deuxième type de lien est aussi fort que le premier car les personnages se sauvent régulièrement la vie et se doivent mutuellement allégeance. Enfin, ce lien social s’affirme à force de vivre ensemble, par habitude. Généralement ce lien se renforce quand un ennemi commun se fait plus fort (l’épidémie, le Gouverneur, la horde de Zombies de la saison 6). Ce nombre très important de relations, permet de tisser une toile d’une complexité et d’une solidité rare. Il s’agit là aussi d’un ingrédient récurent de la série dramatique classique.
Du Z servi en tranches
Walking Dead ne doit pas non plus tout son succès à sa construction sociale. Si les séries fonctionnent bien de nos jours, c’est aussi parce qu’il s’agit d’un format totalement en accord avec notre génération de Zapping. Tout est plus court, plus réduit, plus intense. La série ne se focalise pas sur un nombre d’entrées comme le film. L’intérêt n’est donc plus d’attirer un large public à un moment donné, mais de convier régulièrement un public réduit. Cela a pour conséquence de toucher plus spécifiquement au cœur un public en abordant un vocabulaire, des thèmes, plus spécifique à sa génération. De plus, comme il s’agit d’une série et non d’un film, ce n’est pas la scène de fin qui est importante à la différence du film d’action. Nous avons ainsi perdu au cours du XXIème siècle la notion de « cliffhanger »*. Cette fin des fins à suspense permet de conserver une attention constante du public, car la scène d’action et d’émotion peut survenir (comme un zombie silencieux) à n’importe quel moment.
Nous avons récemment vu naître le « Spoil »**. Les séries essayent donc de plus en plus de marquer l’intérêt de leurs épisodes par d’autres éléments. C’est bien sûr le cas pour Walking Dead. Il est évident que tous les personnages que l’on connait, excepté Rick et Carl (c’est officiel) vont finir par mourir. Si l’on regarde l’épisode 1 de la saison 1 et le dernier épisode de la saison 6, on voit peu de personnages communs. L’intérêt n’est donc plus de savoir qui meurt, mais plutôt comment il meurt ou comment sa mort est appréhendée.
La série de Zombie s’éloigne du film par ses contraintes (spoils, budget, absence de suspense) mais marque définitivement sa différence par son format cyclique. Walking Dead a réussi à imposer un schéma similaire pour chaque épisode. La scène d’ouverture constitue un moment flou : passé ou futur avec souvent un personnage inconnu dans une situation inconnue qui est dévoilé plus tard dans l’épisode (le « JSS » de la saison 6) ou qui rajoute de la profondeur à un personnage. Ensuite, il y a le générique, qui durant les six saisons a très peu changé, et enfin l’épisode. Celui-ci comporte la plupart du temps deux points de vue de personnages principaux (sauf épisodes exceptionnels se consacrant sur un personnage). Un bon épisode comporte toujours deux ou trois « walkers » facilement neutralisés ainsi qu’une scène avec un groupe plus important de rôdeurs (généralement une dizaine) qui oblige un des groupes principaux à s’enfuir. En plus de cela, Rick doit souvent répondre à une problématique qui s’offre à lui (mise à mort, choix de lieux, personnage à appréhender…). Il n’est pas non plus étonnant de voir mourir environ deux personnages par épisode. Un secondaire, voire inconnu, et un principal voire secondaire. Malgré ce schéma assez strict (comportant évidemment et heureusement pleins d’exceptions) on peut voir que la série ne perd pas son intérêt. Cela produit même un effet rassurant, comme un rendez-vous habituel. Il s’agit d’un fort positionnement de la série. Ce schéma strict est renforcé par le format de la diffusion (40 minutes par semaine).
Le format série possède une time line plus libre que le film. Les flashs back peuvent avoir lieux en début d’épisode sans pour autant perturber l’action de l’épisode en lui-même. Cela permet aussi de créer des ellipses- c’est-à-dire de faire des sauts dans le temps afin de recentrer l’action. Cela est rare dans le cinéma, encore plus dans le film d’action ou d’aventure, et totalement inexistant dans le film de zombie classique. Là encore le format série et la fonction ellipse s’accordent très bien avec un univers Zombie. Dans Walking Dead et Z Nation, il y a de nombreuses ellipses, qui permettent plus facilement de sortir d’impasses scénaristiques ou de scènes d’actions nécessitant de trop gros moyens. Le personnage de Morgan dans Walking Dead en est la preuve, de même que la scène où Rick s’échappe du bus dans la saison 6.
Le format série crée en vérité un contenu bien plus profond qu’un film et soutient le scénario apocalyptique mieux que n’importe quel autre thème. En effet Walking Dead capitalise 58 heures d’épisodes et 235 acteurs et Z Nation 18 heures de programme et 54 acteurs. Ce temps permet ainsi de s’accrocher aux personnages, alors que ceux-ci ne peuvent pas survivre longtemps dans un milieu post-apocalyptique. Il s’agit d’un fort pari de la production de faire rentrer sans cesse de nouveaux acteurs et d’en faire mourir des principaux tant aimés. Ceci est bien original si l’on compare Walking Dead ou Z Nation à d’autres séries dramatiques. Dans Lost, pratiquement personne ne meurt, American Horror Story change ses personnages de saison en saison, dans Breaking Bad la mort de personnages est attendue et prévisible depuis longtemps. Seul Games of Throne est l’exception qui confirme la règle.
Le Zombie devient de plus en plus tendance. Il sort même des supports médiatiques classiques. De nombreuses marches zombies sont organisés dans les capitales (surtout New York), on peut le retrouver parfois en publicité, en jeu (Plants vs Zombies et Zombie Tsunami) et évidemment sous forme de goodies et autres produits dérivés.
Mais plus encore, le personnage de Daryl et son arbalète inspirent tant que l’on observe une progression des ventes d’arbalètes aux USA, de talk-show où l’acteur, Norman Reedus, est invité mais aussi, et cela concerne le Zombie en général, un succès flagrant pour les ventes de kits de survies. On serait alors en droit de se demander si le Zombie a une fin de vie ou si celui-ci va encore trouver chaussure à son pied qui boite. On attend, avec inquiétude tout de même, le Orgueil et préjugés et Zombies de 2016. Si l’industrie cinématographique arrive, encore et toujours, à nous faire ingurgiter du Z, je pense que l’on est paré à toute éventualité virale aliénante de hordes mordantes. Non ?!
Crouzet Tom