On l’a vu, il ne faut pas juger un film à la taille de ses flingues. Les trames classiques du macho-man qui sait comment cogner pour faire mal savent souvent dissimuler des messages engagés. A cet égard, les trois premiers Rambo (respectivement sortis en 1982, 1985, et 1988) sont exemplaires. Chaque opus de la série est sous-tendu d’une volonté de dénoncer des atrocités réelles, voire de réécrire l’histoire.
John Rambo, le soft power bien caché
Le premier Rambo voit un jeune Sylvester Stallone chercher ses anciens compagnons d’armes des forces spéciales américaines avec qui il a combattu au Vietnam. Mais une fois dans le Midwest, quand il comprend que tous ses camarades sont morts et qu’on le traite comme un chien, il prend la mouche. Le sheriff du village où il atterrit le voit d’un mauvais œil, et la guerre est déclarée : Rambo met la ville à feu et à sang (il sait y faire), mais derrière les fusillades et les chouettes explosions, il y a l’amère dénonciation d’une société américaine qui veut oublier les horreurs du Vietnam et les vétérans cabossés qu’elle a fait naitre.
Quand John Rambo reprend du service en 1985, c’est pour récupérer des otages américains au Vietnam. Comme c’est un jeune homme dégourdi, il en profite pour flinguer à tout va et regagner la guerre à lui tout seul, histoire de réparer l’orgueil américain. Mais Sylvester Stallone fait encore mieux pour sa bannière étoilée.
De 1979 à 1989, les soldats soviétiques occupent le territoire afghan. Soucieux de mettre fin à la guerre froide sans trop faire parler les obus, Jimmy Carter et Ronald Reagan n’enverront pas de troupes au sol pour soutenir les moudjahidines. Mais pour gagner la guerre quand même, on peut toujours compter sur John, qui arrive comme une fleur et fait copain-copain avec les Afghans.
(dernière scène du film dans la version DVD et dans la première version VHS)
Selon le Guiness World Records de 1990, Rambo 3 était le film le plus violent jamais tourné jusqu’alors, avec plus de 180 morts à l’écran… Mais tout ça dans une optique de soft-power bien claire : c’est toujours les Etats-Unis qui ont les plus gros bras pour braquer les plus gros flingues.
(médiation interculturelle)
Rassurez-vous : il n’y a pas que Sylvester Stallone qui cache quelques revendications derrière de gros pistolets.
Hollywood contre l’apartheid
Quand L’Arme Fatale 2 sort dans les salles obscures américaines en 1989, l’opposition à l’apartheid sud-africain fait rage. Le pays est sous la coupe de nombreuses sanctions internationales, mais c’est encore à Hollywood qu’il revient de gagner la guerre (idéologique, cette fois). On suit alors nos deux fameux flics que tout sépare : Roger Murtaugh, cinquantenaire qui répète à longueur de film qu’il est « too old for this shit » et Martin Riggs, tête brulée qui sait dessiner un sourire dans une feuille de papier à cinquante mètres avec les balles de son pétard.
(Muraugh-Riggs / Glover-Gibson)
Respectivement interprétés par Danny Glover et Mel Gibson, le duo fera date, et pour cause : dès leur deuxième aventure, ils mettent symboliquement fin à l’apartheid. Faisons simple : les grands méchants trafiquants de drogues après lesquels ils courent sont des diplomates sud-africains (des Blancs, yeux bleus et relents fascistes).
(ça respire pas la tolérance)
Contraints d’agir dans l’illégalité pour contourner leur immunité diplomatique, Murtaugh et Riggs frappent fort. Le QG de nos vilains a eu la mauvaise idée de s’ériger sur une belle villa à flanc de colline. Munis d’un pick-up GMC, nos vigoureux policiers attachent des câbles aux pilotis de la maison et la font s’écrouler, grâce à la force brute du moteur made in America. La scène est anthologique, le symbole est fort.
Le genre du film d’action hollywoodien des années 1980 et 1990 est presque toujours réduit à la première lecture qu’on peut en faire : un gentil frappe les méchants dans la tronche jusqu’au générique, et c’est toujours lui qui gagne. Mais quand on s’y penche un peu, on peut découvrir que derrières les gros bras, les gros flingues et les grosses voitures se cachent des messages plus subtils, qui passent d’autant mieux qu’on les intègre plus qu’on ne les comprend. Les succès internationaux des Rambos et autres Armes Fatales font oublier qu’aucun soldat américain n’a combattu aux côté des moudjahidines ou contre l’apartheid. C’est le symbole qui compte, puisque c’est lui qui fonde la réputation. Le message est clair : c’est nous les plus forts, dans la vraie vie ou dans les salles obscures.
Noé Vidal