Le sous-titre du film, sorti il y a plusieurs mois aux États-Unis déjà, en annonçait la couleur: une romance, certes, mais pas n’importe laquelle. Une romance traitée par Spike Jonze.
Spike Jonze, c’est ce type qui a réussi à faire un film sur un portail métaphysico-spatial qui mènerait quiconque y tomberait dans la tête de John Malkovich – interprété dans le film par nul autre que John Malkovich en personne, brillant. C’est aussi ce type qui a réussi à nous faire redécouvrir et pleurer devant ce livre d’illustrations de notre enfance, Where The Wild Things Are (Max et les Maximonstres pour les francophones) dans lequel un petit garçon nous traîne dans une tempête en pleine mer au bout de laquelle il va découvrir, dans une contrée peuplée (vous l’aurez deviné) de maximonstres, les effrois et merveilles de la vie en communauté, de l’amitié, des ruptures.
À travers sa (courte) filmographie de longs-métrages, il faut retenir de Spike Jonze sa manière de traiter avec la plus grande sensibilité et finesse des émotions humaines, capturées dans leur plus grande pureté. Ses films ne se préoccupent cependant guère de la vraisemblance du cadre ; l’important reste avant tout l’histoire qui nous est racontée, avec tout ce qu’elle peut compter de fantaisie (l’adaptation cinématographique d’un livre de botanique dans son premier film, Adaptation, l’existence rêvée ou réelle des maximonstres…). En sortant d’une expérience cinématographique signée Spike Jonze, on se pose guère la question de sa vraisemblance ; car c’est bien ce que le film nous a intimement rappelé, et émotionnellement fait vivre pendant ces quelques heures qui nous reste à la surface de la peau.
C’est ainsi, sans doute, qu’il faut aborder cette « Spike Jonze love story » qu’est son dernier trésor, Her. Un titre court par ailleurs, qui pourrait d’une certaine façon, sans même avoir vu le film, évoquer une incarnation de la Femme aimé, celle dont parlerait un amant sans avoir besoin de la nommer, puisque ce pronom même sonnerait comme une évidence.
Her raconte, dans une ère proche de la nôtre où les appareils technologiques ont envahi les pratiques sociales, l’histoire d’un homme solitaire (mais surtout seul) qui tombe amoureux de son « operating system », un programme informatique qui s’adapte à la personnalité de chaque utilisateur et se plie à ses besoins. Interprété par un Joaquin Phoenix magnifique, Theodore, qui sort d’une rupture difficile, semble alors redécouvrir les joies les plus simples, telles qu’un dimanche à la mer ou une chanson au ukulélé, à travers une idylle virtuelle.
Les plus sceptiques verront l’incohérence du personnage de Samantha (l’operating system en question, dont la voix est interprétée par Scarlett Johanson) qui, au fur et à mesure de son évolution acquiert une certaine autonomie de pensée, des désirs intellectuels et charnels, et des sentiments. « Was that all programming ? » s’interroge-t-elle, dans le film. Spike Jonze introduit ici un indice, une piste d’explication à explorer ; mais, encore une fois, la cohérence n’est pas le cœur du film.
Il faudrait peut-être chercher celui-ci tout d’abord dans la solitude du personnage, ou plutôt des personnages. Les plans de Theodore déambulant dans la ville nous montrent presque tous des personnages solitaires, ayant pour seul interlocuteur l’oreillette qui leur sert de dispositif technologique. Mais il serait trop superficiel de mettre cette idylle sur le compte d’un manque de compagnie. Critique de nos pratiques sociales actuelles, où chacun est sans cesse rivé derrière un écran au point d’en oublier, du moins partiellement, ce qu’est une véritable relation humaine d’être à être ? Peut-être. Explication rationnelle des sentiments de Theodore ? On peut en douter.
Car ce que Her raconte, c’est bel et bien une histoire d’amour folle, entre deux êtres, de chair ou de programmes électroniques. Cette histoire se rapprocherait alors d’une thématique sociale et communicationnelle bien ancrée dans notre ère, qui serait celle de l’amour virtuel, ou « en ligne » comme il en est bien souvent le cas. Deux êtres qui se parlent, sans se sentir, se toucher, se rencontrer, c’est bien la situation de bon nombre de relations naissantes aujourd’hui, à travers les réseaux sociaux et autres sites et applications de rencontre.
Dans cette optique, on pourra penser que cette thématique a été amorcée par Spike Jonze dans un de ses précédents films, le court-métrage I’m here, qui raconte la touchante romance qui lie deux robots, dotés de sentiments pourtant bien humains. Lors de ces rencontres virtuelles, nous sommes bien des objets derrière un écran qui masque notre réalité charnelle ; cependant, les échanges de paroles et, parfois et pour les plus chanceux, de sentiments, sont bien réels.
Plus que l’amour virtuel en tant que tel, cette « Spike Jonze love story » traiterait donc d’un amour sans jugement vis-à-vis de l’identité des deux amants (amour qualifié de « si pur » par l’un des protagonistes du film, une jeune femme engagée pour substituer Samantha dans l’acte sexuel). Si l’histoire nous présente les épreuves endurées par Theodore pour assumer intimement, mais surtout socialement l’identité de Samantha, il ne faut pas oublier que le déséquilibre existe bien des deux côtés. C’est ce qui conduira justement à la fin de leur histoire, puisque cet operating system aux programmes si perfectionnés évolue bien trop vite pour un esprit humain.
Que tirer de cette fin de film alors ? Difficile d’y voir d’une visée moralisante qui condamnerait les rencontres virtuelles ou l’avancée technologique dans les relations amoureuses. Les sentiments partagés entre les deux personnages sont si vrais, si identifiables à des sentiments que tout humain serait susceptible de ressentir, qu’on ne peut en nier la substance.
Ce que Spike Jonze nous offre, c’est encore une fois l’occasion de remettre en question nos a priori sur ce que l’on aurait tendance à se figer dans des modèles. Au-delà de la dimension humain/machine, Her présente au final une belle histoire, qui nous fait vivre en l’espace de deux heures quelque chose que l’on aurait pu vivre nous aussi, dans la vraie vie.
Charlène Vinh.
1 Comment