HER : bien plus qu’un film d’anticipation ?, par Paola P

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Her est bien plus qu’un film d’anticipation qui porterait sur la possibilité d’une intelligence artificielle capable d’évoluer comme une personne humaine et de développer sa propre personnalité. Her est bien plus qu’un film où la belle Scarlett Johansson utiliserait sa voix envoûtante sans jamais pour autant apparaître à l’écran.

Her est bien plus qu’un film d’anticipation, puisque c’est un film de rupture. Theodore Twombly, personnage interprété par l’acteur Joaquin Phoenix, refuse de signer les papiers du divorce alors même qu’il est séparé de sa femme depuis plus d’un an. Il refuse de rencontrer d’autres femmes parce qu’il a peur. L’acquisition d’un «Operating System» futuriste doté d’une intelligence émotionnelle remarquable apparaît alors pour lui comme la solution de son impasse amoureuse : il pense ainsi pouvoir contrôler cette relation et ne plus jamais avoir à en souffrir. S’ensuit alors une très belle histoire d’amour au sein même de ce film d’anticipation. Et cette histoire participe du schéma classique de la relation amoureuse : les protagonistes grandissent ensemble, l’un grâce à l’autre, avant de s’éloigner progressivement pour finir par rompre. Même schéma déceptif de la relation amoureuse : peu importe les spécificités technologiques de cette relation avec l’OS doué de la voix de Scarlett Johansson. Mais Spike Jonze ne tombe jamais dans le défaitisme amoureux : tout le film s’illumine à partir du moment où Theodore et Samantha tombent amoureux, et l’on sent au travers de ce changement de lumière le changement du regard de Theodore sur le monde. De même lors des nombreux flashback de Theodore sur son ancienne relation, particulièrement au début du film : il y a un contraste fort entre le quotidien sombre du personnage principal et l’extrême luminosité qui baigne ses souvenirs. Spike Jonze continue de s’inscrire dans un certain mythe du « cinéma total » : mais le film est entièrement subjectif, on voit le monde à travers les yeux émus de Theodore pendant ces 2 heures de film.

Her n’est pas simplement un film d’anticipation, c’est un film sur l’illusion. Cette relation est avant tout possible parce que Theodore et Samantha y croient. Peu importe la réalité physique de la relation, les émotions, elles, sont à tout moment palpables et véritables. Au fond, peu importe si les protagonistes amoureux sont de chair véritable, tant que les émotions sont réelles. Theodore perd cela de vue quand son ex-femme déprécie sa relation avec Samantha, son système d’exploitation. Heureusement, il y a le personnage de la bonne amie de Theodore, interprété par Amy Adams, qui ne cesse de rétablir la vérité de l’amour technologique tout au long du film. On voit alors bien que quand Theodore cesse peu à peu d’y croire la relation entre lui et son système d’exploitation décline, parce que c’est une relation profondément centrée autour de la « suspension volontaire de l’incrédulité » pour citer l’expression de Coleridge. Il n’y a plus qu’un pas à faire vers le cinéma lui-même : peu importe si ce qui se passe sur l’écran est réel tant que les émotions du spectateur sont, elles, bien réelles. Spike Jonze signe un très beau film qui nous permet de comprendre, si on ne le savait pas déjà, un des élements fondamentaux de ce qui fait la beauté du cinéma.

Cette dimension est particulièrement visible quand on se rappelle la première scène de sexe entre Theodore et Samantha. Au lieu de nous offrir un plan serré de Joaquin Phoenix dans la pénombre (comme dans une autre scène de sexe par téléphone du début du film), Spike Jonze décide de laisser l’écran complètement noir. Impossible alors de dire que cette scène se passe dans l’imagination des personnages et non pas entre deux corps dans une scène classique. Cette dimension physique est complètement évacuée, laissant place seulement aux voix des personnages, et le spectateur oublie qu’il s’agit d’une scène de sexe entre un homme et un programme.

Enfin il y a dans ce film un message presque woody-allénien qui n’est pourtant pas réservé aux happy few de la philosophie du réalisateur new-yorkais : « whatever works ». Theodore aime un programme d’ordinateur ? Très bien. Comme le dit le personnage d’Amy : nous ne sommes pas sur terre pour longtemps, alors pourquoi refuser de la joie ? Ce qui compte c’est la joie qu’éprouvent Samantha et Theodore, ce qui compte c’est que Theodore reprenne complètement goût à la vie et accepte paisiblement que son ex-femme et Samantha soient toujours une partie de lui. Cette réflexion est possible parce que le spectateur, tout comme Theodore, oublie complètement le côté insolite de cette relation qu’il voit de l’intérieur.
Ce film a une dimension woody-allénienne également par certains côtés qui ne sont pas sans rappeler Annie Hall, et surtout la magnifique phrase de fin : « I thought of that old joke, you know, this guy goes to a psychiatrist and says, “Doc, uh, my brother’s crazy; he thinks he’s a chicken.” And, the doctor says, “Well, why don’t you turn him in?” The guy says, “I would, but I need the eggs.” Well, I guess that’s pretty much now how I feel about relationships; you know, they’re totally irrational, and crazy, and absurd, and… but, I guess we keep goin’ through it because, most of us need the eggs. ». Au milieu du film, le personnage d’Amy, prononce une phrase assez proche : « I guess everobody who falls in love is a freak. It’s a crazy thing to do. It’s kinda like a form of socially acceptable insanity. » Folie oui, mais folie douce, celle de l’amour. Et ces œufs un peu fou, on ne peut qu’en redemander.

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