Bien plus qu’un film, c’est une allégorie que Spike Jonze porte à l’écran pour le plus grand bonheur des spectateurs en quête d’évasion. Chercher le dépaysement, l’atteindre, partir mais jamais trop loin, c’est l’expérience que propose «Her », sa dernière réalisation.
Avec douceur et poésie, la science-fiction se mêle à la banalité du quotidien. L’histoire, impossible et si plausible à la fois, est ancrée dans un futur proche aux allures de contemporain. Les costumes sont simples, presque « datés », les décors sont sobres, épurés. Seule l’omniprésence des oreillettes interactives, des caméras et des ordinateurs indiquent une rupture temporelle. Dans ce monde évolué, l’homme converse avec la technologie, le « kit mains libres » s’est généralisé mais rien n’est étrange et tout est attendu. On se surprend à juger l’avenir assez commun, presque décevant.
Les images sont belles mais sans prétention ; le scénario est cohérent sans être épatant ; les dialogues sont justes sans être surprenants ; l’ensemble pourtant, est dérangeant mais magnifique, magnifiquement dérangeant.
Abîmés par la vie et le monde qui les entoure, les personnages, des principaux aux plus secondaires, tirent leur profondeur de leurs fêlures. Déboussolés, Joaquim Pheonix, Amy Adams, Olivia Wilde et Rooney Mara sont bouleversants d’humanité et de sincérité.
Theodore, être complexe à la sensibilité exacerbée, écrit des lettres pour vivre. Il donne forme aux sentiments des autres à défaut de pouvoir exprimer les siens. Incapable de surmonter le départ de Catherine, son grand amour, il survit dans le souvenir de leur vie à deux. Son univers bascule avec l’achat d’un OS, nouveau logiciel unique et « intelligent ». Lorsqu’il lance le système, Theodore fait la connaissance de Samantha, une jeune femme drôle, intuitive, dévouée et terriblement attachante. Une histoire d’amour indéfectible se noue alors entre eux.
Tout virtuels qu’ils soient, les OS n’en sont pas moins réels aux yeux des personnages qui s’abandonnent aux bras du digital comme pour fuir leurs congénères de chair et de sang. Pareils à des spectres, les humains se croisent sans se voir, préférant la compagnie des machines à celle de leurs semblables. Une dépendance s’installe. D’abord juge, le spectateur devient peu à peu témoin puis complice de ces étranges relations. Son ouverture d’esprit est mise à l’épreuve ; Her est un test qui invite à embrasser l’inconcevable : concéder une âme à l’immatériel.
La question de l’emprisonnement par le corps est au cœur de l’intrigue. S’il donne accès au plaisir physique, il est aussi carcan et apparaît comme un frein à l’évolution. Désincarnés donc sans entraves, les OS font figure d’esprits supérieurs. L’enveloppe charnelle prend des airs de superflu. Nul besoin de corps pour envoûter. Désincarnée, Scarlett Johansson réalise la prouesse de transpercer l’écran. Sans frustration pour le spectateur, la voix de l’actrice se substitue à toute autre forme de jeu et suffit à ébranler la salle entière.
Plus qu’un film à voir, Her est un film à entendre. Son dessein est d’être lu. Chaque mail, chaque lettre, chaque mot, chaque note est prononcé à haute voix. La musique et les voix, tels sont les artisans du récit. Le son prend tant et si bien le pas sur l’image que la scène « d’amour » entre les deux protagonistes jette un voile noir sur l’écran. Saisissant, l’imaginaire prend le pas sur le voyeurisme et les sensations n’en sont pas moins intenses.
Her est une œuvre d’initiation aux personnages attachants, un conte à qui la lecture donne vie.
Certains jugeront le film bavard quand d’autres s’abandonneront avec délice au son de ces « diseurs d’histoire »…
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