Le roi est mort, vive le roi : Chuck Berry n’est plus.
Enfin non d’ailleurs, c’est faux, regardez ! Il est toujours là, et là, et là : peu de musiciens ont eu une telle empreinte, en importance et en longévité. Même s’il n’était évidemment pas seul sur le coup, il fut un des premiers à donner ses codes au rock’n’roll ; desquels l’ensemble du rock depuis les années 50 pourrait être vu comme des variations, des pastiches, des détournements, de la même façon que Verlaine a brisé le vers pair ou Bukowski la ponctuation.
Car si aujourd’hui on considère ses chansons, à raison, comme des « classiques », il faut se rappeler qu’elles ont été un jour nouvelles, furieusement nouvelles et novatrices.
L’ascension de Chuck Berry jusqu’au sommet est d’ailleurs mot compte triple quand on sait qu’elle a dû se faire dans une Amérique encore ségrégationniste : il se fait par exemple juger pour avoir fricoté avec une mineure pendant que Jerry Lee Lewis épouse sa cousine de 13 ans en toute impunité, se prend des répliques cinglantes et racistes de beaucoup de musiciens, dont ce dernier, qui sont aujourd’hui célèbres, il se voit interdire bon nombre de salles de concerts, et la liste continue.
Ce géant de 90 ans nous a donc quittés hier, mais, tel Mufasa dans le ciel étoilé du Roi Lion, il reste une présence qui veille sur toute musique comprenant guitares batterie et je-m’en-foutisme. Peu de gens peuvent s’enorgueillir d’avoir autant que lui inspiré : on ne pourrait compter les groupes légendaires qui ont eu le feu sacré grâce à ses morceaux, et on a déjà du mal à compter le nombre de reprises (ou de plagiats, venez par ici les Beach Boys) de ses chansons par les plus grands.
Et son influence a même percé l’écran : Chuck Berry figure dans de nombreux films et B.O cultes qu’on ne peut évidemment pas tous citer, mais on peut tenter un petit échantillon subjectif.
Cadillac Records de Darnell Martin en 2008 raconte l’histoire du mythique label Chess Records. Le fondateur, joué par Adrian Brody, permit avec son label l’essor de musiciens pionniers du rock, du blues et de la soul, comme Muddy Waters, Howlin Wolf, Little Walter, Etta James (jouée par Beyoncé Knowles), ou encore Chuck Berry, interprété par le rappeur Mos Def. Le musicien a mis un point d’honneur à donner la représentation la plus fidèle de Berry, sur scène (le fameux duck walk, le look, la voix) comme à la ville avec son attitude indomptable (rappelons que Chuck Berry pouvait être un peu une teigne sur les bords, on laisse Keith Richards raconter lui même le jour où il a rencontré son idole, et où celui ci lui a collé son poing dans la figure).
En 1973, George Lucas sort American Graffiti, une géniale ode au début des années 60 avec Richard Dreyfuss et un tout jeune Harrison Ford. L’intrigue n’est peut être pas haletante mais c’est un très bon film d’univers, d’atmosphère, une très belle capsule temporelle du temps des drive-in et des jukebox. Un temps d’errance adolescente dans des voitures magnifiques, et d’écoute religieuse de la seule radio qui passe des bons morceaux, animée par le mystérieux Wolfman. En effet le film brille par sa B.O géniale et pertinente, qui ne se cantonne pas aux tubes les plus connus de l’époque (oui on te regarde Bill Haley) et propose un bel éventail, des Clovers aux Fleetwoods, en passant par Del Shannon, Buddy Holly, et bien sûr Chuck Berry avec Johnny B. Goode et Almost Grown.
You never can tell de Chuck Berry a été utilisée dans moult films et séries, comme Madmen qu’on ne présente plus, mais ce serait péché que d’en parler sans la relier à la scène légendaire de Pulp Fiction de Quentin Tarantino (1994) , qu’on ne présente d’ailleurs plus non plus. Après un milkshake onéreux mais délicieux, la sulfureuse Mia Wallace (Uma Thurman) saute sur la scène du concours de twist du diner, ce qui force son garde du corps pour la soirée, le taciturne Vincent Vega (John Travolta), à la suivre. Commence alors une des scènes les plus cultes de Tarantino, pieds nus s’il vous plaît, ou Vince se laisse un peu entraîner malgré son caractère et les ordres de son patron : comme quoi, you never can tell.
Attention, personal favorite :
Le film Retour vers le futur de Robert Zemeckis (1985) est absolument culte pour un très, très grand nombre de raisons qui mériteraient un article à part. L’une d’elle est la façon dont les actions du personnage principal Marty McFly (Michael J. Fox) dans les années 50 vont influer sur l’avenir. Cet adolescent des années 80 est propulsé trente ans en arrière, en 1955, et a comme mission de faire en sorte que ses parents encore lycéens tombent amoureux, ce qui a été compromis par son arrivée. Pour cela il s’infiltre au bal du lycée, et alors que l’un des membres du groupe qui assure la musique du bal se blesse en forçant un coffre de voiture (longue histoire), c’est lui qui se retrouve sur scène guitare à la main, et joue alors ce qui est pour lui un classique absolu mais ne sera écrit qu’en 57 : Johnny B. Goode. Le public ne revient pas de cette musique si rapide et nouvelle au moment où en tête des charts trône encore Mr Sandman, et un des membres du groupe s’éclipse pour passer ce jouissif coup de fil : « Allô, allô, Chuck ? C’est ton cousin, Marvin Berry ? Tu sais ce « nouveau son » que tu cherches ? Mec, écoute ça ! »
Évidemment la liste est longue, trop longue, (on a omis Maman j’ai raté l’avion, Les Sopranos, ou encore Camping) ce qui est encore une preuve – comme si on en cherchait toujours – que Chuck Berry est un monument au même titre que le mont Rushmore ou la Grande Muraille de Chine.
Car au moment même où il s’éteint, quelque part dans une ville triste, quatre boutonneux se réunissent dans un garage encombré de matériel de randonnée, branchent un ampli et reprennent, mal, Johnny B. Goode.
Et le reste est rock’n’roll.
Ambre Chalumeau