De longues minutes de séances photos, sans aucun dialogue, face à face de la photographe Amel (Hafsia Herzi) et de son modèle, parsèment le film de Mehdi Ben Attia. Ces duels érotiques s’inscrivent dans une reprise de pouvoir de la femme sur le désir, dans un contexte social imprégné par les traditions musulmanes où elle est constamment soumise à celui des hommes qui l’entourent. “Je voulais inverser le rapport : que ce soit elle qui regarde et qui soit désirante. […] Elle enquête sur le désir masculin. C’est l’inversion d’un schéma classique de la domination masculine, qui voudrait que le féminin soit objet d’incompréhension.”(1). La figure paternelle incarnée dans le bourgeois de gauche Sidi Taïeb, que Mehdi Ben Attia décrit comme étant souvent son porte-parole dans le film, incite dès les premières minutes Amel à se montrer provocatrice, car la Tunisie en a besoin. La provocation, bien entendu, n’est jamais sans danger. Une spectatrice féminine sera sûrement très vite confrontée à une certaine forme d’angoisse qui parcourt le film.
En tant que femme, même occidentale, nous ressentons immédiatement des frissons à la voir se confronter ainsi, seule, face au désir masculin brut, de dépouiller, physiquement et figurativement, l’homme qui n’a pas l’habitude de se départir de son pouvoir de contrôle. Hafsia Herzi décrit cela comme une manière “de faire entrer le risque dans le cadre”(2). Le risque est présent en effet, le risque que la violence pointe à travers l’érotisme, à chaque moment, un risque qui induit une vigilance constante que les femmes connaissent bien, une vigilance que nous prenons un certain plaisir à voir Amel balayer de côté, liberté d’artiste le temps de quelques clichés.
Et ce spectacle se déroule dans les rues ensoleillées de Tunis, où Amel cheveux creux des reins et short, affirme son identité. Elle est l’une des facettes du féminin,une parmi d’autres, qui se côtoient et se rencontrent dans une société en mutation. Pas plus pas moins femme, mais elle même, avec sa beauté et sa vitalité, que la caméra capte admirablement. Saisir la lumière sur la peau, la sensualité du froissement d’un vêtement, un regard qui se nourrit de la proximité de la photographie, qui travaille le cadre et cherche à capter l’étincelle de l’instant et se laisse prendre au jeu. Les personnages se trouvent entraînés et presque dépassés par la prédominance du sensible dans les scènes de pose. Ce dépassement est rendu manifeste par la rupture que génère l’irruption de tiers, qui brisent l’impulsion. La spontanéité et la vivacité animent les protagonistes et semblent entrer en résonance avec le cadre où ils évoluent. La lumière est chaude, elle rend les couleurs vibrantes ; le paysage prend vie. Comme Tunis, qui semble agitée d’un souffle, prise dans l’oscillation entre intérieurs feutrés, aux volets rabattus, cadres du domestique et du sensuel mais aussi lieu d’enfermement ; et rues qui se déploient et qui ouvrent à tous les possibles. Les sens dialoguent et s’expriment, certes dans les lieux de l’intime, à travers la séance photographiques, mais plus encore au sein la nature. Deux scènes semblent se répondre en miroir, Amel entre les arbres d’un cimetière et Amel entre les bras d’un homme. Loin des carcans de la société, où les ruptures entrent traditions et modernité ont la violence d’une gifle, souvent adoucit d’un trait comique. Le personnage du beau père, pourrait incarner cette dualité, tour à tour mécène libéral et « tyran domestique » qui s’octroie le droit de cuissage comme le souligne le réalisateur. Loin aussi des rapports de force qui se tissent au sein des couples et se déclinent. Chaque relation se singularise, montrant ainsi la multiplicité et la complexité de ce qui se joue dans le désir et le rapport à l’autre.
Justine POUVESLE et Solène GALLIEZ
Sources :
1 : Interview de Mehdi Ben Attia (dossier de presse Epicentre Films)
2 : Interview de Hafsia Herzi (idem)