Artiste primé, il a travaillé entre autres avec Petit Biscuit, Yseult et NTO : Jean Charles Charavin nous raconte ses réalisations, motivations et ambitions.
Passionné d’image et de cinéma depuis son plus jeune âge, Jean-Charles Charavin est passé par l’ESEC et a vite créé avec ses acolytes sa boîte de production Incendie. Avec plus d’une trentaine de réalisations pour des grands noms de la musique, Jean-Charles Charavin a allumé la brèche.
Léna : Comment es-tu devenu réalisateur ? Est-ce que c’était le métier que tu as toujours voulu faire ?
Jean-Charles Charavin : Le désir de devenir réalisateur est arrivé assez tard dans ma vie. Je regardais très peu de films jusqu’à ce que je passe mon bac. Inscrit en fac de maths, je passais la plupart de mes journées dans ma voiture sur le parking de la fac à regarder des films pour tuer le temps. En quelques semaines j’ai découvert le travail de beaucoup de réalisateurs très populaires mais que je ne connaissais pas comme Tarantino, Scorsese, les frères Coen ; et d’autres moins connus du grand public comme Melville ou Cocteau. J’ai pris un gros shoot de cinéma et je me suis tout de suite intéressé à la fabrication de ces films. Je me suis inscrit à la Faculté de Cinéma de Montpellier, j’ai acheté un 5D et j’ai commencé à tourner plein de choses. Il y avait de tout : des captations de spectacle, des mariages, des petits clips de RNB pour des artistes locaux mais aussi des courts métrages que je tournais avec des amis. Hormis les courts il n’y avait que très peu d’artistique dans tout ça mais avec du recul je réalise que j’ai énormément appris sur cette période là.
J’ai ensuite déménagé à Paris pour poursuivre une formation à l’ESEC, une petite école privée qui était bien plus axée sur la technique. C’est là que j’ai rencontré mes deux futurs associés, Antoine Olla et Ian Hurtado avec qui j’ai fondé Incendie films à la sortie de l’école.
Au bout de deux années à produire tout type de contenus j’ai eu la chance de réaliser le premier clip de la chanteuse Yseult. A partir du jour de la sortie du clip, tout a changé pour moi et je n’ai jamais arrêté de tourner !
L : Qui sont tes modèles ?
J. C : Je pense que je m’inspire énormément des films de fiction. Dans des formats courts, l’histoire et l’émotion restent les éléments les plus importants et le cinéma est une source d’inspiration sans fin. J’aime les réalisateurs qui ont su adapter leur travail autour de différents formats tout au long de leur carrière. Des Spike Jonze, Gondry, Jonathan Glazer, ou plus récemment Hiro Murail qui a réalisé la série Atlanta après une grande carrière de clippeur. J’admire aussi le travail d’autres réalisateurs de pub et clip extrêmement créatif comme François Rousselet ou Oscar Hudson.
L : Tu as réalisé de nombreux clips vidéo, qu’est-ce que ce type de réalisation t’as appris sur le métier ?
J. C : Tout ! Même si l’industrie du clip souffre d’un gros manque de budget, elle a l’avantage d’être un terrain de jeu créatif exceptionnel pour les réalisateurs. Selon les artistes on peut être amené à travailler sur des univers très différents. Du narratif, du film de genre ou encore des clips d’attitude aux mouvements de caméra très acrobatiques qui trouveraient difficilement leur place dans des courts métrages ou autres formats plus classiques que le clip. Aussi, les clips sont créés sur des périodes très courtes. Seulement un ou deux jours de tournage la plupart du temps et en à peine deux semaines de préparation. On peut vite se retrouver à tourner 3-4 projets en un mois. C’est pour moi la meilleure des écoles.
L : Quel est le tournage qui a été le plus complexe et pourquoi ?
J. C : J’ai réalisé un clip de science-fiction (Drivin Thru the night -ndlr) pour l’artiste Petit Biscuitil y a presque deux ans. C’était je pense mon tournage le plus ambitieux et qui impliquait beaucoup de monde dans chaque domaine. Nous avons dû recréer des rues aux allures de Blade Runner dans une ancienne usine et prolonger les perspectives avec des immenses fonds verts et un travail d’effets spéciaux qui implique une préparation minutieuse sur chaque plan. Il y a avait aussi plus de cent figurants à maquiller, habiller et mettre en scène. Tout était disproportionné, c’était incroyable !
L : A l’instar d’un réalisateur de long métrage, est-ce qu’il t’est déjà arrivé de travailler avec un artiste dont tu n’appréciais pas l’univers ?
J. C : Évidemment ! Mon envie première est de réaliser des films et séries de fiction et j’ai toujours considéré le clip plus comme une formation continue qu’une finalité. Je suis parti du principe que plus je tournais plus j’allais apprendre mon métier, quel que soit le projet ou l’artiste. J’ai dit oui à tout et j’ai tourné plus de 70 clips en 3 ans alors que j’ai dû en signer moins de 20. Un clip c’est avant tout une commande. On n’est pas en train de tourner un projet personnel, il faut s’adapter à cette demande et appréhender la réalisation comme un métier plus technique. Encore une fois, je trouve que c’est une très bonne formation et qui ne peut que mieux te préparer pour le jour où tu tournes un projet que tu affectionnes particulièrement.
L : Et donc comment choisis-tu les projets ?
J. C : J’essaye d’être maintenant plus sélectif sur le choix des projets de clips afin de privilégier la qualité et de me dégager du temps pour avancer sur des projets d’écriture de films plus personnels. J’accorde plus d’attention à l’artiste et la musique que les labels me proposent. Malgré tous nos efforts, un bon clip c’est très souvent une bonne musique à la base ! Évidemment le budget a aussi une grande importance dans ces choix puisque qu’il va influer sur la qualité finale du film et son ambition artistique.
L : Parle-nous de Beyond Control, qui a remporté le LAFA (Los Angeles Films Awards – ndlr). Comment es-tu arrivé à ce festival ?
J. C : Beyond Control est l’un de mes clips les plus personnels et ambitieux. J’avais déjà tourné Invisible pour NTO et cette collaboration avait été un grand succès. On a gagné de nombreux prix avec le clip et il a très bien été accueilli par son public. Une relation de confiance s’est alors installée entre l’artiste et moi et il m’a donné carte blanche pour ce deuxième clip. Avec mon équipe on l’a pensé comme un clip très narratif avec un look de thriller américain et on a poussé l’ambition du script au plus loin. Aussi c’était un projet qui a pu être préparé très en amont du tournage ce qui est rare dans le milieu. La préparation était minutieuse et les délais nous ont permis d’aller chercher un soutien financier auprès du CNC sans quoi le projet n’aurait jamais vu le jour.
Pour ce qui est du LAFA les choses se sont passées de façon assez fluide. Nous avions déjà envoyé Invisible à de nombreux festivals et Beyond Control a suivi. Les clips entièrement narratifs sont plutôt rares et sortent donc rapidement du lot, je pense que ça a joué en notre faveur pour la sélection et l’obtention du prix.
L : Raconte-nous les difficultés auxquelles tu te heurtes dans ton métier.
J. C : C’est un métier qui prend beaucoup de place dans ma vie et je pense que c’est le cas pour tous les réalisateurs. Il y a beaucoup de fatigue qui s’accumule, les doutes, la frustration de ne pas voir les choses avancer aussi vite qu’on le voudrait et ne pas avoir le contrôle sur tout. Aussi on passe beaucoup de temps à “pitcher”, c’est-à-dire commencer à écrire et travailler sur des projets tout en étant en compétition avec de nombreux autres réals. Lorsqu’on perd le projet c’est toujours difficile, surtout quand les échecs s’enchaînent mais tout ça fait partie du job et je ne changerai de vie pour rien au monde !
L : Comment est-ce que tu réfléchis aux plans et à la mise en scène ?
J. C : Tout va dépendre du projet. Pour un clip qui sera plus visuel et dans l’attitude je me laisse souvent porter par l’instru et le mix pour imaginer les mouvements de caméra. C’est très organique, je vois presque ça comme le wagon d’un manège qui avance ou comme le run d’un skateur qui enchaîne différents tricks, élégants, fluides et parfois plus agressifs. Ce processus de création est avec le temps de plus en plus instinctif. Le décor est aussi une grande inspiration, il dicte les mouvements et inspire les cadres.
Lorsque je travaille sur un projet plus narratif, c’est totalement différent. L’histoire prend le dessus sur le style, on a le sentiment de toucher à quelque chose de plus “sacré”. Le découpage est souvent pensé bien en amont et préparé rigoureusement avec mon chef opérateur. On répète, on voit ce qui fonctionne et ce qui fonctionne moins bien. On ajuste de façon à trouver ce qui sera pour nous la façon la plus juste de raconter l’histoire.
L : Qui se charge de la post-production ?
J. C : En général le suivi de post-prod se fait via ma boîte de production Incendie Films. On fait cependant appel à différents intervenants extérieurs pour venir travailler sur le film. Même si je sais le faire, je n’aime pas monter seul. Je trouve beaucoup plus intéressant d’avoir un regard extérieur sur mon travail, un regard parfois plus sévère mais qui mène toujours à un meilleur résultat, plus juste et efficace. Les monteurs et étalonneurs avec qui je travaille ont bien plus d’expérience que moi dans ce domaine. Ils ont développé un regard pointu et objectif et sont de véritables artistes qui amènent le projet encore plus loin. Une bonne post-prod change un film du tout au tout.
L : Un conseil pour un jeune réalisateur ?
J. C : Tourner, tourner et encore tourner ! On apprend toujours plus sur un shoot que lorsqu’on ne tourne pas, même lorsqu’on débute et que les projets qu’on nous propose ne nous paraissent pas intéressants. Ce sont ces centaines d’heures d’entraînement sur des tournages qui façonnent ton regard, ton sens du cadre et tes réflexes sur un plateau. Cela ne peut être que bénéfique pour le jour où tu dois tout donner pour ton propre film et c’est celui-là qui sera déterminant pour la suite.
L : Les 3 films qui t’inspirent ?
J. C : Seulement trois… c’est dur ! Pour un panel assez large je dirais : No country for old men des Frères Coen, Kagemusha de Kurosawa et Le Seigneur des anneaux, le premier.
L : Quels sont tes projets futurs ?
J. C : Mon principal projet est un court métrage que je tourne en avril prochain et qui devrait nous servir à vendre le long par la suite. Avec mon équipe, on travaille dessus depuis presque deux ans maintenant. C’est un film fantastique qui se passe dans une cité parisienne. Aussi je tourne prochainement une campagne TV pour une marque de vêtement et je prépare un déménagement aux États-Unis avec de nombreux clips pour des artistes internationaux qui suivront !
C’était Jean Charles Charavin pour Cinepsis !
Retrouvez ses clips :
Beyond Control – NTO & Monolink