Retour sur les meilleurs moments de cinéma de l’année 2015 avec les anciens présidents de Cinépsis. Soyez en sûrs, on y trouve de tout!
Top 10 de Matthieu Parlons
1 – Réalité, (de Quentin Dupieux, alias Mr Oizo)
2 – Kung Fury, (de David Sandberg)
3 – Hill of freedom, (de Hong Sang-Soo)
4 – The Visit, (de Night Shyamalan)
5 – Un jeune poète, (de Damien Manivel)
6 – Les deux amis, (de Louis Garrel)
7 – Unfriended, (de Leo Gabriadze)
8 – Une histoire américaine, (d’Amel Hostiou)
9 – Francofonia, (de Sokourov)
10 – Foxcatcher, (de Bennett Miller)
Top 10, exercice difficile s’il en est. De deux choses l’une, de Wilde : «Je ne lis jamais un livre avant d’en faire la critique, ça risquerait de m’influencer». L’autre, en guise de modeste exégèse : ne voyez pas ces films avant d’en lire la critique, ça risquerait de vous influencer.
1 – Réalité, vu deux fois en une semaine. Une petit anecdote qui n’est pas sans sel. À propos du film précédent de Dupieux : je prends une place pour Wrong Cops (Wrong?), je me précipite dans la salle sans me rendre compte que je suis arrivé en plein milieu de la séance précédente (aux 3/4?); j’ai donc la bizarre impression de voir en boucle le même film tout juste entrecoupé d’un étrange générique-entracte en son premier quart; avant de réaliser que, oui, tel était le cas : j’ai vu deux fois Wrong. Je pense que le cinéma de Quentin Dupieux est comme ça. Et c’est pour cette raison que j’ai vu deux fois Réalité. Non pas en un jour, mais en une semaine.
2 – Kung Fury : Hitler en maître de kung fu. J’ai d’abord cru à une plaisanterie. Alors je suis allé y voir de plus près. C’était un peu comme si on avait passé La dialectique peut-elle casser des briques? de l’Internationale Situationniste de Guy Debord à la moulinette d’un docu sur les Origines du Nazisme, avec quelques montages futuristes bien dégueus à la Zardoz. Bref, c’était jouissif. Je crois que le point Godwin peut aller se rhabiller.
3 – Hill of freedom : une très belle variation poétique sur les rendez-vous manqués, les fantasmes de rendez-vous, et rendez-vous de rêves. Quel dommage qu’on ne retrouve pas de charmante écolière dans celui-ci, comme ce fut le cas dans de nombreux autres Sang-Soo : plus particulièrement en son avant dernier, Sun-Hi.
4 – The Visit : un film horrifique au synopsis simple, deux gosses vont rendre visite à des grands-parents qu’ils n’ont jamais vu (histoire d’une dispute avec la mère des-dits gosses) dans un patelin paumé au milieu de nulle part. Joli twist à grands renforts de la Poétique d’Aristote : anagnoresis finale, et tutti quanti. Mais surtout, et c’est ce qui fait la qualité du film : beaucoup d’humour. Un des jeune blanc-bec se la joue à la façon du Eminem de Eight Miles (voire Nekfeu, si on veut rester dans l’air du temps) à raper sur tout et sur n’importe quoi (une tarte au citron, je crois), et on apprend aussi que Papi est incontinent le jour, et que Mémé a la gastro la nuit. Etc etc.
5 – Un jeune poète : un métrage dégingandé, hâbleur et indolent, mais tout à fait charmant, à l’instar de l’acteur principal, ce jeune poète un brin tête-à-claque, qui boit à défaut d’écrire ce que l’inspiration ne lui dicte pas, et qui, au bout du goulot, dégoise et soliloque à longueur de journée devant la tombe de Valéry -qui, lui, reste de marbre. Brassens n’est pas loin puisque on est à Sète.
6 – Les deux amis : Vincent Macaigne, ce formidable débraillard ! Toujours égal à lui-même (voix rauque et éraillé, regard de chien battu, cheveux filasse), face à un Garrel également égal à lui-même (lèvres pincées, élégance impassible et ton poseur), si bien qu’égaux à eux-même en amitié, l’équation fonctionne. Parce que c’était Vincent Macaigne, parce que c’était Garrel. Une très belle histoire sur fond de triangle amoureux (RIP René Girard) où l’amitié s’éprouver plus qu’elle ne se prouve.
7 – Unfriended : il me souvient un court-métrage canadien qui avait usé du même dispositif, l’interface facebook pour élaborer son scénario. Tel en est l’intérêt : une petit histoire horrifique sur fond de rumeur Skype et Facebook qui a le mérite de jouer à fond la carte du medium (social autant que spiritiste!).
8 – Une histoire américaine : encore une formidable histoire d’amour avec Vincent Macaigne. Comme toujours, ça finit mal. Vilain petit canard. Rejeté, honni, puant, débraillé, sale, le voilà qui ressombre dans la mélancolie et la vinasse sans lendemain. Pathétique rebut amoureux et pantin chancelant. Un générique final récité absolument godardien.
9 – Francofonia : un Sokourov pour la route! Une histoire de musée : le Louvre. Mais nul documentaire. Plutôt : un amusant bricolage qui fait se mêler le Radeau de la méduse et des bruits de radio maritime, des monochromes crépitants de noir et de rouges, des cartes de l’occupation, des regards caméra; puis, finalement : se croiser une Joconde bigote-patriote («Liberté, Égalité, Fraternité») et un Napoléon en plein ego trip («C’est moi!», au détour d’un couloir, en chair et en os.
10 – Foxcatcher : Steve Carrell et Magic Mike (oui, oui, le mec qui s’agite en slip sur une barre de pole-dance devant une foule de donzelles en mal d’amour -physique, est-il besoin de le préciser) à contre-emploi dans les rôles respectifs d’un magnant passionné de lutte et d’un lutteur dévoué corps et âme à son magnat. Très dur, et très poignant, on ressent quelque chose de très physique (comme par exemple : des coups de poing) -mais bon, c’est de la lutte, après tout.
Top 10 de Raphaël Londinsky
1 – Birdman, (d’Alejandro Gonzales Iñárritu)
2 – Trois souvenirs de ma jeunesse, (de Arnaud Desplechin)
3 – Mad Max, (de George Miller)
4 – A Most Violent Year, (de J.C. Chandor)
5 – Valley of Love, (de Guillaume Nicloux)
6 – Ex Machina, (de Alex Gartland)
7 – Comme un avion, (de Bruno Podalydès)
8 – Réalité, (de Quentin Dupieux, alias Mr Oizo)
9 – Taxi Téhéran, (de Jafar Panahi)
10 – Inherent Vice, (de Paul Thomas Anderson)
Fin d’année oblige, il est indispensable de faire son classement des meilleurs films. Toujours subjectifs of course. Mais le cru ciné de 2015 me semble plutôt réjouissant. Alors que de plus en plus de films se ressemblent, qu’on ne parvient plus à faire la différence entre les pré-quelles, les reboots et autres remakes, certains réalisateurs continuent de créer, d’inventer et de nous faire rêver!
1 – Birdman, parce que décidemment les réalisateurs mexicains bousculent les codes d’Hollywood. Véritable pied de nez aux suites interminables de super héros Marvel, Birdman joue sur tous les tableaux. A la fois satyre et miroir du monde du spectacle et de la comédie, cette œuvre détonne par son originalité. Alejandro González Inárritu relève un défi cinématographique hors pair : réaliser et monter un film avec le moins de coupe possible. Vaste plan séquence de deux heures et demie, Birdman est vertigineux. On retiendra une scène d’anthologie dans laquelle on peut voir Michael Keaton se balader en slip au beau milieu de Time Square. Bref une réussite de bon augure alors que l’on attend avec impatience le prochain film du réalisateur The Revenant avec Leornardo Dicaprio. The sow must go on !
2 – Trois souvenirs de ma jeunesse, parce que c’est bien plus qu’un simple préquelle à Comment je me suis disputé… Paul Dedalus, anthropologue de quarante ans se retrouve coincé à la douane pour un problème de passeport. Ce sera pour lui l’occasion de se remémorer sa jeunesse, ses amitiés, ses déboires mais surtout son amour tumultueux avec Esther. Il y a quelque chose de proustien dans cette introspection sentimentale qui offre au film, par ses dialogues et ses acteurs, une note touchante de romanesque et de mélancolie. La sensibilité de Desplechin nous fait deviner, derrière les rires et les pleurs, ce qui se joue en fond, au cœur de ces adolescents qui enterrent leur jeunesse avec le mur de Berlin. Brillant.
3 – Mad Max, parce que c’est la claque visuelle de l’année. Le film incroyablement baroque nous transporte dans un monde post apocalyptique où les courses poursuites respirent l’adrénaline, la poussière et l’huile de moteur. George Miller y réinvente avec brillo les standards du cinéma quelque part entre la SF, le Valhalla et le road movie. Le scénario tient sur une feuille de papier, les dialogues sont quasi inexistants mais l’action viscérale, frénétique et effrénée happe les spectateurs, qui cherchent vainement sur leur siège de cinéma, une ceinture de sécurité.
4 – A Most Violent Year, parce que c’est un thriller d’une subtilité remarquable. Après Margin Call, J.C. Chandor revient avec un film sublime, tout y est inoubliable. Le réalisateur renouvelle le film de gangsters pour démonter le mythe du rêve américain. On se prend à se passionner pour des histoires de fioul, d’entrepôts et de chauffeurs de camions. Il y a quelque chose de James Gray et de Martin Scorsese. Le suspens est toute en lenteur et la tension n’en est que plus puissante. Sans aucun manichéisme, on découvre un héros, interprété brillamment par Oscar Isaac, coincé entre deux mondes, entre l’honnêteté et la corruption. C’est bluffant.
5 – Valley of Love, parce que ce sont les grandes retrouvailles d’Isabelle Huppert et Gérard Depardieu. Les deux acteurs avaient déjà joué ensemble il y a 40 ans dans les Valseuses de Bertrand Blier. Valley of Love, c’est surtout un film d’acteurs porté par ces deux géants du cinéma. Une histoire d’amour oubliée, une relation filiale compliquée, un film quasi biographique d’attente et de non dit. Gérard et Isabelle deviennent peu à peu les protagonistes de leur propre histoire. C’est poétique et plein d’autodérision. On ne sait pas, on attend et on espère. A voir.
6 – Ex Machina, parce que c’est le meilleur film sur l’intelligence artificielle qu’on ait vu depuis longtemps. La mise en scène d’une sobriété implacable se débarrasse de tous les artifices stéréotypés du genre. Le romancier de La Plage Alex Gartland filme ici un monde en vase clos troublant et fascinant. On retrouve Oscar Isaac décidemment brillant. Une fable moderne dont l’anticipation fait écho au réel d’une manière inquiétante.
7 – Comme un avion, parce que c’est la meilleur comédie française de l’année. Bruno Podalydès se mets en scène pour la première fois et ca lui réussit. Une échappée belle drôle et poétique sur l’expédition un peu raté de Michel. Passionné par les pionniers de l’Aéropostale, ce dernier décide du jour au lendemain de descendre une rivière en kayak. Il croisera sur sa route une multitude de personnages loufoques et attachants. Vimala Pons, Agnès Jaoui et Sandrine Kiberlain sont plus touchante que jamais. Une pause salvatrice qui va à contre courant de notre cinéma le plus contemporain.
8 – Réalité, parce que c’est un film follement surréaliste. Quentin Dupieux, fidèle à lui-même réalise une œuvre inclassable. Une sorte d’Inception absurde où les frontières du rêve, de l’inconscient et du réel se mélangent. L’esthétique est très travaillée et les jeux de lumière donnent au film une sorte d’aura nébuleuse. Alain Chabat semble se prendre au jeu et c’est étonnamment réjouissant. Il faut se laisser porter et enfin quand la bizarrerie devient joie, rêver à son tour de ce monde décalé et anormal.
9 – Taxi Téhéran, parce qu’on dit non à la censure. En Iran Jafar Panahi n’a plus le droit de réaliser de film ni de s’exprimer en public et pour déjouer cette interdiction, le réalisateur s’est installé au volant d’un taxi. Il circule au milieu de Téhéran et capte des brèves de vie au détour d’une rue ou d’une conversation. C’est à la fois intense et désinvolte. Mais ce n’est ni un film documentaire, ni un film amateur, c’est bel et bien une fiction magistrale, violente et grandiose. Le film a reçu l’ours d’or au festival de Berlin.
10 – Inherent vice, parce que c’est le grand retour de Paul Thomas Anderson au cinéma. On retrouve la folie, l’impertinence et la grandiloquence de ses débuts. On pense bien sur à Boogie Nights. Mais le réalisateur n’a rien perdu de son talent. L’intrigue est incompréhensible, les acteurs sont géniaux, c’est un film sous acide ni plus ni moins. Du très bon cinéma.