On connaît tous aussi bien le cinéma “d’Art et d’Essai” que l’aphorisme lacanien relatif à la “jouissance de l’Autre”, à savoir: “Il n’y a pas de rapport sexuel”. Ou, peut-être, l’un moins bien que l’autre. Au pire, une séance de rattrapage ne peut que vous faire du bien. Pour ce qui est du rapport avec Les rencontres d’après-minuit, vous ne tarderez pas à le voir par vous-même.
1° Le film “d’Art et d’Essai”, espèce rare, précieuse et en voie d’extinction, a la particularité d’être le plus souvent absent de la programmation des réseaux de grande distribution du cinéma (Gaumont, UGC). Une définition assez simple et pragmatique, autant qu’iconoclaste, s’imposerait alors: peut être qualifié de film d'”Art et d’Essai” tout film qui ne serait projeté que dans des cinémas MK2 (et encore, la programmation a quelque peu régressé ces derniers temps), des cinémathèques (heureusement !), ou, bien entendu, des cinémas du quartiers latins (Champo, Filmo, Reflets Médicis & Cie) !
Prenons un exemple concret: la programmation du film Les rencontres d’après minuit dans les cinémas du 3e arrondissement. Les rencontres d’après-minuit de Yann Gonzalez, étrange récit filmique d’une partouze organisée entre 7 personnes dans un appartement bobo cosy à souhait et destinée à n’avoir pourtant jamais lieu, est seulement projeté au MK2 Beaubourg (à des heures presque indûes, 22h30, etc), et n’a jamais été (et ne sera probablement jamais) projeté à l’UGC Ciné-Cité les Halles, ce serait donc, d’après notre définition: un film “d’Art et d’Essai”.
2° L’aphorisme lacanien relatif à la jouissance de l’Autre, c’est une autre paire de manches ! “Il n’y pas de rapport sexuel” énonce le précepte lacanien, rappelant ainsi l’impossibilité qu’il y aurait à formuler, autant qu’à éprouver, pour le sujet, cet hypothétique état de jouissance absolue que Lacan nomme “jouissance de l’Autre”.
En réalité, on gagne évidemment beaucoup à rapprocher le modèle freudien du destin des énergies psychiques (décharge partielle; rétention, refoulement; décharge hypothétiquement totale et absolue) du tryptique lacanien des stades de la jouissance (jouissance phallique, plus-de-jouir, et jouissance de l’Autre).
Et c’est plus particulièrement de la jouissance de l’Autre, cette sorte de satori psychique impossible à atteindre et à formaliser pour le sujet, que les Rencontres d’après minuit traitent à leur insu.
Le phallus imaginaire d’Eric Cantona : un sexe en latex ou le signifiant du désir ?
Ce que la presse à scandale aurait retenu, si ce film “d’Art et d’Essai” n’était pas passé aussi vite et aussi peu dans nos salles obscures, c’est sans doute, ce geste un peu fou et carrément obscène: Cantona brandissant son sexe hors de son pantalon face à six partouzeurs les yeux rivés sur sa braguette !
À propos de cette scène (de) culte, Cantona, aurait eu l’esprit de répondre ainsi à la question culottée d’un journaliste (“Est-ce que c’est votre vrai sexe, cette énorme chose que vous sortez de votre pantalon devant tout le monde dans la scène de débraguettage ?”): “Bien entendu que non, mon sexe est beaucoup plus long”.
On retiendra ce qu’on veut de cette anecdote, que Cantona sorte bien de son froc un prétendu sexe en latex ou le sien propre, peu importe ! Le phallus imaginaire d’Eric Cantona, c’est le signifiant du désir.
Le cinéma “d’Art et d’Essai” : de la vaine masturbation intellectuelle ou un plaisir nécessaire de l’onanisme ?
À tous ceux qui dénigreraient le film sous prétexte d’une masturbation esthético-intellectuelle, on les prendrait au mot. Comment interpréter autrement les déclarations intradiégétiques de Cantona le bien membré, ou plutôt, de “L’Étalon” le bien nommé, ce partouzeur p
lus volubile que véritablement actif, qui ne finit par révéler son pénis à la face du monde qu’après avoir disserté sur ces prédispositions et talents littéraires ? Ainsi, comme le disait Woody Allen lui-même à Annie Hall, dans le film éponyme, “Comment peux-tu en vouloir à la masturbation ? C’est pourtant faire plaisir à quelqu’un que l’on aime”. Cantona “l’Étalon” se sentait destiné à devenir écrivain, poète, jusqu’à ce que les affres hormonales de l’adolescence n’accélèrent monstrueusement la croissance de son membre. Cantona ne sacrifie pas sa vocation, il la vit à travers son membre – en captivant son auditoire par le récit de son tiraillement entre deux passions: il raconte la perte d’un talent littéraire sans pouvoir s’empêcher de faire de son pénis le principal protagoniste d’un récit qui le consacre comme raconteur au lieu de le stigmatiser comme partouzeur.
Le pianocktail de 2013 est un “jukebox sensoriel”.
Mais si la scène de dévoilement du pénis est matière à émotion, tant dans sa crudité que dans le récit fantasmagorique qui la précède, une petite merveille technologique traduit bien l’état d’esprit des partouzeurs. Le juke-box sensoriel, une juke-box qui passe la musique qui correspond à votre état d’esprit. Un mélange d’anxiété, d’attente et de tristesse ? D’ailleurs, ce que dit la gouvernante de l’Attente semble extrait des Fragments d’un discours amoureux de Barthes: “Ce que je préfère, c’est l’Attente. On est euphorique. Après on est bien souvent déçu” (en substance). Comme pour Mallarmé la Devinette, c’est l’Attente qui fait les 3/4 du plaisir (devrait-on dire du plaisir précédant la jouissance ?). De même, la Chienne, jeune nymphomane impatiente, jouit en femme fontaine, avant de s’effondrer sur la piste de danse, dans une transe épileptique post-coïtale et frénétique, à la recherche d’un partenaire de danse qu’elle ne trouve pas dans les 7 partenaires qu’elle s’apprête pourtant à “baiser”.
Animal ante coïtum triste ?
La jouissance de l’Autre est cet horizon qui fait des Rencontres un ovni sexuel, digne d’illustrer la maxime lacanienne du Non-Rapport Sexuel: personne ne baise (du moins, pas explicitement et pas avant un moment).
Le triangle girardien du couple et de la gouvernante, inscrit sur le fond mythologique d’anabase orphique, se trouve lui-même faussé: la Gouvernante ne désire que l’amour du Couple, et le Jeune finira tout simplement par ravir à Orphée son Eurydice.
De même, la potentialité d’un rapport incestueux, que l’on retrouve à travers les personnages du Jeune et de la Célébrité, un jeune partouzeur (en fugue) et une vieille partouzeuse (ayant largement l’âge d’être sa mère), ne se rejoue qu’à travers une mise en abyme. Les sept personnages, l’Étalon, le Couple, la Gouvernante, le Jeune, la Chienne et la Célébrité, sont alors installés dans une salle de cinéma allégorique, où se joue la procrastination permanente d’un rapport incestueux: “Demain”, répond le fils à la demande insistante autant qu’incestueuse de la mère. Ce rapport n’aura jamais lieu qu’à l’écran, mais à l’écran mis en abyme, un écran dans l’écran, et encore, dans l’obscurité la plus totale, puisqu’il est impossible qu’il advienne autrement que dans les tréfonds du désir. “Le cinéma”, disait Godard au début du Mépris, “substitue à nos regards un monde qui s’accorde à nos désirs”. Tel est le cas dans cette scène extrême où se rejoue spéculairement un impossible rapport incestueux.
Les Rencontres d’Après-Minuit ne sont pas un Peine-à-Jouir, mais un En Attendant Godot de l’Orgasme qui font de la jouissance de l’Autre le refrain du désir dans un monde qui a pour horizon l’inceste – et où l’onirisme coloré, morbide et fantasmatique, est le théâtre permanent d’un rapport sexuel sans cesse éludé par son absoluité.
M. PARLONS.