Imaginez l’enfant bâtard de Wallace et Groomit, Ken Loach et Tim Burton, et vous aurez un assez bon aperçu de ce qu’est Ma vie de courgette. Et il est vrai qu’à première vue, le film semble un pari risqué. Une esthétique grinçante, mélange étrange de marionnettes en silicone et de dessin enfantin, une fable sociale pour enfants… On est loin de l’animation léchée des studios Ghibli ou des prouesses techniques du géant Disney. Et pourtant, tous ces apparents défauts participent de la création de ce petit bijou du cinéma franco-suisse signé Claude Barras.
Premier long métrage du réalisateur, le film s’ouvre sur un drame familial, sans phare et sans filtre – inhabituel pour un film destiné à un jeune public. Déjà, Ma Vie de Courgette se démarque. Courgette, c’est le personnage principal, un petit garçon aux cheveux bleus sans père et à l’existence bancale – symbolisé dès les premiers plans par un cerf-volant ballotté par le vent. Il vit seul avec une mère absente, absorbée par la télévision et la boisson, au point que les cannettes de bières constituent presque exclusivement le mobilier de sa chambre. Et un jour, le basculement. Courgette tue sa mère. Pris entre les mains des services sociaux, il est envoyé dans un foyer avec d’autres enfants aux histoires toutes plus terribles les unes que les autres. Le ton est donné. Ce film d’animation ne sera ni foyer du merveilleux, ni bulle d’espoir. Et pourtant…
Pourtant, Ma vie de courgette ne tombe jamais totalement dans le mélodrame. L’humour y est omniprésent, que ce soit sous la forme de second degré ou en montrant des situations typiques de l’enfance qu’on n’a – paradoxalement ? – pas l’habitude de voir dans les films dits « pour enfants ». L’impérieuse cruauté portée comme une armure pour dissimuler sa tristesse, la découverte de la sexualité, de la drogue, des relations abusives.
Puis il y a la poésie. Fragile, toujours menacée, comme le quotidien de ces enfants confrontés trop tôt à la cruauté. Une poésie de tous les jours, donc, portée par des personnages hésitant toujours un peu entre stéréotypes et justesse. Chaque scène en est imprégnée, même les plus dures, même les plus banales. La poésie comme masque de l’innocence, de l’espoir en un avenir meilleur – et au fond, c’est aussi ce que représentent ces enfants abandonnés : l’espérance aveugle, un peu vaine, qu’un jour le soleil brillera à nouveau sur le brouillard de l’existence.
En un sens, Ma vie de courgette est un film d’équilibriste, jouant délibérément, parfois avec brio, sur les codes du genre. Surtout, il balance en permanence entre des thèmes adultes – l’adoption, le deuil, l’incertitude liée à l’avenir, même l’inceste – et le regard naïf, toujours méfiant et émerveillé, des protagonistes. Ajoutez à cela un doublage de qualité – porté par Michel Vuillermoz, de la Comédie Française -, et on a là tous les ingrédients pour faire un bon – et grand – film d’animation.
Margaux Salliot