Marco Polo – La série événement de Netflix

Netflix a encore frappé un grand coup ce vendredi 12 décembre,  en mettant en ligne l’intégralité de sa nouvelle série Marco Polo. Le géant de la VOD ne lésine plus sur les moyens pour imposer sa présence aux quatre coins du monde et capter un nombre toujours plus grand d’abonnés. Présentée comme la série la plus chère de l’histoire de la télévision, Marco Polo avec son budget de 90 millions de dollars tente tant bien que mal de restituer la vie aventureuse de l’explorateur vénitien du XIIIème siècle. On nous transporte dans la cour de l’empereur de Mongolie Kublai Khan entre trahisons, rivalités et intrigues sexuelles.

L’ambition plus ou moins dissimulée de la chaine de concurrencer Game of Thrones d’HBO ne leurre personne. Un tournage en Italie, au Kazakhstan et en Malaisie, une alternance abusive entre les scènes de sexe et les épisodes de batailles… Du blockbuster télévisuel dans toute sa splendeur. Par le biais historique, Marco Polo prend volontairement ses distances avec le fantastique, comme pour mieux souligner sa différence avec son homologue d’HBO. Pourtant ni le dépaysement en Orient, ni la beauté des décors de la majestueuse cour de l’empereur Mongol ne parviennent à la hauteur des régions de Westeros ou des rivalités qui opposent les Stark et les Lannister.

Marco Polo, chronique d’un échec annoncé ?

Une série historico-romanesque qui manque de souffle

Entre l’histoire-fiction et le wu xia pian (le film de sabres à la chinoise), Marco Polo déçoit à tous les points de vus. C’est sur la phrase qu’aurait prononcé Marco Polo sur son lit de mort que se fonde le scénario de la série : “Je n’ai raconté que la moitié de ce que j’ai vu.”  Autant dire que les créateurs John Fusco et Lorenzo Richelmy qui interprète le personnage principal, n’hésitent pas à romancer la vie de l’explorateur au détriment de toute crédibilité historique.

La série commence alors que le jeune Marco, épris d’aventure, s’engage au côté de son père vers la fameuse « route de la soie ». Arrivé en Asie, il est livré en tant qu’esclave au terrible empereur mongol. D’abord prisonnier, puis observateur, Marco devient très vite une sorte de conseiller de Kublai Khan au grand détriment du fils de ce dernier. Le vénitien suit alors un entrainement privilégié, il apprend le Kung-fu, à monter à cheval, à écrire le chinois et à se fondre dans le décor de cette ville asiatique qui regorge de traitres et de bandits. La soif de pouvoir de Kublai, entraine Marco aux confins de l’empire mongol dans des guerres fratricides et sanguinaires.

Toutefois les scènes de combats vus et revus, la longueur des dialogues, le classique entrainement de Kung-fu par un maître chinois aveugle et la lenteur des épisodes n’ont rien de vraiment divertissant. De plus la série manque terriblement d’acteurs un tant soit peu charismatiques. La prestation peu convaincante de Lorenzo Richelmy dans le rôle titre ne saurait en rien nous attacher à l’univers de Marco Polo. Les lacunes scénaristiques, rattrapées à grand coup de « cliffhangers » (fin d’épisode ouverte visant à créer un fort suspens), ne permettent pas de captiver le spectateur. Hormis les paysages grandioses, les décors relativement réussis construits dans les studios malaisiens de Pinewood et des costumes d’époque, ces 10 heures de visionnage représentent une grosse prise de risque pour Netflix.

mp

Une série sauvée par le Binge-watching (gavage télévisuel)

Une fois de plus Netflix a mis d’un bloc l’intégralité des 10 épisodes de Marco Polo à disposition de ses abonnés. En plus de convenir aux adeptes du Binge-watching, ce format permet à la série de ne pas totalement tomber dans l’oubli. En effet, à l’origine créée pour la chaine Starz, la série n’aurait sans doute pas résisté au mode de diffusion télévisuelle classique avec un épisode par semaine. Les distributeurs ne seraient pas parvenus à maintenir l’intérêt des spectateurs semaine après semaine. Certain spécialistes s’accordent même à dire que la série n’aurait pas dépassé le stade de l’épisode trois ou quatre avec un format traditionnel.

Du même coup, Netflix ne peut pas profiter des techniques de promotion classique. Ces techniques si bien intégrées par HBO, qui diffuse au compte-gouttes des teasers et visuels en tout genre pour faire languir les fans de GOT. Pourtant il faut reconnaitre que le principe Netflix semble réussir ici, puisque le spectateur se sent presque obligé de regarder tous les épisodes… Cela permet du moins à Marco Polo d’être regardée dans son intégralité. Ce qui constitue déjà un exploit pour une série de cet acabit.

On aurait pu espérer que ces modes de diffusion, moins dépendants des principes d’audience, allaient permettre une plus grande créativité dans la production sérielle. Pourtant on se retrouve ici, avec Marco Polo, face à une série digne des moins bons blockbusters américains. La plateforme de VOD a beau cacher les chiffres d’audience, on suppose assez facilement que ce n’est pas cette méga production qui va consolider la position de Netflix en Europe, alors que le nombre d’abonnements progresse moins vite que prévu.

L’impérialisme non avoué de Netflix

L’arrivée de Netflix dans l’hexagone en septembre 2014 a fait trembler les grandes chaînes de télévision françaises. Toutefois ce géant du net qui redistribue les cartes du PAF ne semble pas rencontrer le succès annoncé. Suite à son implantation en France,  Netflix a fait l’expérience, a ses dépends, des difficultés du particularisme. Une seule et même fiction ne peut pas plaire à tout le monde… Mais ce n’est pas cet « échec momentané » qui va freiner les ambitions internationales de la chaine.

Cette relecture de la vie de Marco Polo découvrant l’immensité et le potentiel de l’Asie du XIIIè siècle souligne bien la volonté de Netflix de s’exporter en Orient. Avec son casting « sans américains », 99% des acteurs sont asiatiques, la série selon les dires des créateurs n’a pas été conçue pour plaire aux Etats-Unis mais pour « insister sur nos différences et sur la beauté de la diversité, Il faut découvrir l’autre » s’enthousiasme Lorenzo Richelmy. Cette fiction qui déconstruit soi disant le mythe de l’uniformisation a pourtant des velléités universalistes. Loin de déconstruire les clichés, elle nous présente une Asie fantasmée où tout le monde parle américain ! La cours de Kublai Khan est grossièrement internationale et multi religieuse, Bouddhistes, Juifs, Musulmans et Chrétiens s’y côtoient. Alors même que la série se veut « locale », le géant du net américain semble avoir oublié la triste leçon de la France, en signant une fiction au relent d’impérialisme déçu.

C’est donc un double échec pour Netflix qui échoue à la fois dans sa volonté de s’attirer les bonnes grâces des abonnés asiatiques potentiels et dans son intention de produire une série qui plaise de manière universelle. La chaine tombe dans l’écueil facile de mêler Orient et Occident pour imposer à tout prix une vision démystifiée de la Chine et de l’Asie en général. Netflix aurait du prendre clairement parti entre uniformisation et particularisme. Mais qui va croire que la totalité des Mongols parlaient anglais au XIIIème siècle !

Bref, on espère que Marco Polo ne sera pas reconduite pour une saison 2 et cela ne nous empêche quand même pas d’attendre avec impatience la nouvelle saison de House of Cards !

 

Raphaël Halbout

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