Moonrise Kingdom
Comédie dramatique de Wes Anderson (2012)
Avec : Bruce Willis, Edward Norton, Bill Murray
Durée : 1h34
Sur une île au large de la Nouvelle-Angleterre, au cœur de l’été 1965, Suzy et Sam, douze ans, tombent amoureux, concluent un pacte secret et s’enfuient ensemble. Alors que chacun se mobilise pour les retrouver, une violente tempête s’approche des côtes et va bouleverser davantage encore la vie de la communauté.
Je dois admettre que le synopsis plutôt absurde du film m’avait laissé profondément perplexe. C’est vrai, deux enfants qui fuguent pour vivre leur amour naissant, un chef scout doté du QI d’une limace, et une bande de gamins hystériques, le tout dans un huit-clos insulaire, on a vu mieux pour appâter le client! Alors, excusez les abysses cinématographiques qu’il me reste à combler et rassurez-vous, cette erreur de bleue ne m’aura pas empêché d’apprécier à sa juste valeur cette pépite cinématographique.
L’absurdité poétique et l’humour décalé qui caractérisent ce film s’expriment dès les premières minutes, avec un enchaînement de plans ingénieux qui mériterait un décorticage approfondi, rien que pour en saisir toute la richesse et les clins d’œil.
La finesse de la réalisation tient d’abord à cette esthétique réglée comme du papier à musique. Chaque plan est pensé comme une photographie. Alors certes, on peut critiquer ces couleurs pastel et ce travail de l’image que de mauvaises langues comparent aux effets d’Instagram. L’atmosphère créée par ce subtil cocktail qui mélange clichés des 70’s et des contes de fées est jouissive. Moonrise Kingdom apparaît comme un voyage initiatique (pour adultes). Les enfants y sont plus matures et plus conscients du poids du quotidien et de la communauté que les adultes, qui passent le plus clair de leur temps à s’agiter inutilement et à se conformer aux règles qui régissent leur rôle social. Progressivement, chacun sort de ce carcan institué pour dévoiler sa part d’humain en faisant face à des situations extraordinaires (au sens propres comme au figuré) pour lesquelles ils n’ont pas été programmés.
Le développement narratif est donc lui aussi minutieusement pensé. Il est vrai que le scénario peut sembler réduit à une peau de chagrin et les rebondissements anecdotiques pour ceux qui sont incapables de second degré et de poésie. Pourtant, tout est parfaitement ficelé et la dramatisation progressive rappelle à quel point il est difficile (voire impossible selon certains pessimistes qui se reconnaitront), de partir à l’aventure. Pour moi, ce film est avant tout un éloge à l’imprévu : si nos jeunes tourtereaux sont partis avec un plan bien précis et le « nécessaire de survie » dans leurs bagages (un tourne-disque, des livres, un chat..), la vraie aventure se situe, pour toute la communauté, dans l’accumulation de petits hasards et de révélations. Moonrise Kingdom nous confronte donc à ce que nos sociétés redoutent le plus : la spontanéité et l’imprévisible, et nous montre les réactions de chacun face à sa liberté de décision nouvelle : se cantonner aux règles ou saisir cette opportunité pour agir librement.
Certains diront que Wes Anderson a passé ce film à se regarder filmer… mais pour une fois qu’un réalisateur sait filmer ! Certes, le spectateur voit tous les rouages cinématographiques, et d’ailleurs, lorsque l’on regarde les scènes coupées, Wes Anderson n’est pas à l’extérieur du film, il en est l’un des personnages principaux.
Il serait réducteur de penser ce film comme un petit bonbon acidulé que l’on déguste rapidement et qui laisse un arrière goût niais au fond de la gorge. Beaucoup de détails qui peuvent passer pour anodins sont à relever et à méditer: les apparitions d’un narrateur saugrenu, que j’assimile à une métaphore de la création littéraire, l’épilogue qui nous montre Sam, le jeune premier, en train de peindre la plage… Tous ces éléments m’ont amené à voir dans Moonrise Kingdom un brillant hommage à “La Tempête” de Shakespeare.
Now my charms are all o’erthrown,
And what strength I have’s mine own;
Which is most faint; now ’tis true,
I must be here confin’d by you,
Or sent to Naples. Let me not,
Since I have my dukedom got,
And pardon’d the deceiver, dwell
In this bare island by your spell:
But release me from my bands
With the help of your good hands.
Gentle breath of yours my sails
Must fill, or else my project fails,
Which was to please. Now I want
Spirits to enforce, art to enchant;
And my ending is despair,
Unless I be reliev’d by prayer,
Which pierces so that it assaults
Mercy itself, and frees all faults.
As you from crimes would pardon’d be,
Let your indulgence set me free.
Note : 9/10
Delphine, de Cin’EDHEC
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