Au cinéma la musique est partout. Elle s’entend, certes, mais elle se filme aussi. Tantôt sujet, tantôt outil de mise en scène, rares sont les films qui n’en n’usent pas. Les films qui y ont recours comme “outil” s’inscrivent souvent dans deux logiques d’utilisation différentes : la musique “atmosphère” que le spectateur entend mais qu’il n’écoute pas et qui sert essentiellement d’accompagnement, se distingue de la musique qu’on écoute et qui focalise l’attention du spectateur. Aussi, le leitmotiv n’échappe pas à la problématique suivante, qui était posée lors de l’exposition “Musique et Cinéma – le Mariage du siècle ?” en 2013 à la Cité de la musique :
La bonne musique de film doit-elle se faire entendre ou se faire oublier ?
Le leitmotiv, un procédé mnémotechnique qui a fait ses preuves.
Si la musique au cinéma semble parfois simplement soutenir l’image, maximisant par là l’intensité dramatique du film, elle revêt cependant une dimension psychologique plus profonde lorsqu’elle est intervient comme leitmotiv. Le leitmotiv est l’équivalent d’un thème sonore de courte durée pouvant être amené à se répéter durant le film, devenant ainsi symbolique d’un personnage, d’un lieu ou d’un sentiment. Le leitmotiv est alors utilisé comme une sorte de fil conducteur, faisant de ces balises sonores de véritables points de repère dans le film. On comprend de fait en quoi ce procédé facilite le travail d’identification du spectateur. Le critique Jacques Bourgeois (des Cahiers du cinéma) comparait d’ailleurs l’emploi du leitmotiv à la technique publicitaire du “matraquage”. À force de répétition, il agit comme un processus d’association mnémonique – tirant ainsi sa force de sa double-fonction, à la fois de connotation émotionnelle et de dénotation de personnages ou de lieux.
La musique de film, un dopant dramatique…
Doté d’une véritable force d’évocation, le procédé du leitmotiv, que l’on doit à Wagner, est en effet massivement repris et adapté au cinéma. Cet héritage de la musique classique a encore une forte empreinte sur les leitmotivs cinématographiques : dans Orange Mécanique de Stanley Kubrick, on retrouve par exemple la neuvième symphonie de Beethoven réarrangée par Walter Carlos ;
dans In the mood for love de Wong Kar-Wai, c’est la musique classique du compositeur Shigeru Umebayashi (Yumeji’s Theme) qui berce le film. Ces deux films sont d’ailleurs intéressants à comparer dans leurs usages du leitmotiv. Dans le premier cas, la musique classique agit par contraste avec les images violentes et ce leitmotiv devient symbolique de l’ultra-violence du personnage d’Alex et de son ambivalence, oscillant entre raffinement et cruauté. Ce leitmotiv paradoxal est ensuite instrumentalisé contre cet anti-héros dans un contexte psychiatrique pour opérer une sorte de lavage de cerveau sur Alex. Dans le second cas, la musique semble au contraire réellement s’accorder au film. Elle accentue ainsi la distance qui sépare les deux personnages principaux, dont la relation met en tension le désir et l’interdit social.
… Particulièrement utilisée dans le cinéma d’horreur
Les films d’horreur se veulent très puissants dans les émotions qu’ils provoquent. Et rien de tel qu’un univers sonore bien construit pour susciter l’effroi chez le spectateur. Jeux entre silences et musiques d’atmosphère contribuent ainsi grandement à la réussite d’un film d’horreur. La suspension d’une note, laissant suite à un silence, suffit parfois à provoquer un effet de suspense, d’attente inconfortable.
« Et le leitmotiv dans tout ça ? » vous me direz… Si l’intense univers sonore et musical des films d’horreur ne repose pas que sur le leitmotiv, son usage participe cependant à créer un effet bien particulier. En effet, le rôle d’identification du leitmotiv devient particulièrement utile dans les films d’horreur afin d’annoncer le danger, l’arrivée du tueur… De manière générale, les méchants au cinéma ont souvent un thème musical qui leur est associé. C’est le cas par exemple dans Les dents de la mer de Spielberg, où le leitmotiv crescendo de John Williams intervient par anticipation à l’apparition du requin, l’air de violon prévenant de l’approche du danger, consolidant ainsi le suspens du film et mettant le spectateur sous tension. Sur le même modèle, dans film Halloween de John Carpenter, le fameux Halloween Theme composé par Carpenter lui-même intervient par anticipation au meurtre et à l’arrivée de Michael Myers, le célèbre tueur masqué.
Dualité d’usages du leitmotiv – du fond sonore à la musique culte.
Les stratégies d’utilisation du leitmotiv me semblent plutôt ambivalentes. Dans un premier cas de figure, le leitmotiv équivaut à une musique de scène, qui s’entend là où le morceau s’écoute réellement. Le leitmotiv joue alors un rôle subtil, en accompagnant l’action, en faisant un travail inconscient de remémoration, tout en évitant de détourner démesurément l’attention du spectateur. Aussi, pour qu’un leitmotiv soit vraiment efficace dans son travail d’associations inconscientes, on favorise souvent une musique de composition, dénuée d’évocations externes au film. Cependant, le leitmotiv n’est pas toujours une simple musique de fond, puisque, pour répondre à sa mission d’identification, il doit également pouvoir être très distinctif. Ainsi, loin de se cantonner à un rôle timide, certains leitmotivs sont devenus “cultes” ou font l’usage de musiques dotées d’une renommée extérieure au film. Cet usage tend à rendre identifiable des personnages ou situations dès l’écoute des premières notes. C’est le cas par exemple pour le personnage de Dark Vador dans Star Wars qu’on associe directement à The Imperal March de John Williams (encore lui).
Évidemment, les problématiques qui unissent Musique et Cinéma couvrent des champs bien plus vastes. Si certains font le choix d’user de la musique avec parcimonie et discrétion, d’autres lui font la part belle en la mettant sur le devant de la scène (parfois au sens littéral). Si la musique est aussi présente au cinéma, c’est que l’univers sonore représente un réel enjeu pour les cinéastes. De fait, pour faire passer un message, produire de l’émotion via la musique, il est aussi important de savoir doser son usage et laisser la place au silence. À ce titre, le dramaturge Brecht disait d’ailleurs :
« Si donc la musique peut dire beaucoup de choses, il faut, pour qu’on l’entende, lui laisser la liberté de ne prendre qu’assez rarement la parole. Elle jouera un rôle d’autant plus important qu’on l’emploiera à doses plus faibles. »
Annabelle CARON
Sources :
-Persée – Image et musique de film par Gérard Blanchard.
-Télérama
-Cinéclub de Caen
Pour la vidéo :
–Kill Bill, Quentin Tarantino
–Star Wars, George Lucas
–Halloween, John Carpenter
–Jaws, Steven Spielberg