Qu’est-ce que peut donner un (faux) péplum biblique ? Après en avoir rêvé pendant une dizaine d’années, Aronofsky nous éclaire sur le sujet !
Synopsis :
Sur une Terre minée par la violence généralisée (meurtres, débauches et vols), où Dieu annonce qu’il va détruire le monde, Noé est chargé par inspiration prophétique d’accomplir une mission cruciale : ériger une arche pour sauver sa famille et les animaux du cataclysme. Mais dégoûté devant le spectacle de la déchéance humaine, qu’il croit inévitable pour les générations suivantes, Noé refuse d’être le nouvel Adam de l’humanité.
Après avoir réalisé des bijoux tels que Pi, Requiem for a Dream, The Wrestler ou encore Black Swan, le cinéaste réputé indépendant s’est lancé dans la réalisation très risquée d’un blockbuster biblique de 130M$. Avant même de sortir en salle, le Quatar, Bahreïn et les Emirats Arabes Unies avaient interdit la diffusion du film pour blasphème et réinterprétation des textes religieux. De nombreux protestants et catholiques se sont également insurgés contre le film.
Noé ne nous donne pas seulement à voir une adaptation du texte biblique, mais une vision très personnelle de l’histoire du recommencement du monde. Après une heure et demie d’action et d’effets spéciaux, quelques fois non révolutionnaires, on passe à la partie la plus intéressante. Finalement peu intéressé par les animaux qui sont pourtant au cœur de l’histoire originelle, il se focalise sur l’Homme et sa noirceur. Alors que Noé se bat pour un recommencement du monde sans hommes, au profit des autres créatures de la nature, il est au centre du film et des interrogations intimes d’Aronosky. Russel Crowe nous éblouit quand il cesse d’être un héros sans faille pour devenir aux yeux des siens un monstre d’égoïsme prêt à l’infanticide pour obéir sans concession à la parole divine.
Sur l’arche, Noé cherche coûte que coûte un appel de Dieu à exécuter le futur enfant de son fils, qui ferait que la « fin [ne serait que] que le début du commencement ».Mais Dieu ne répond plus et Noé devient fou et colérique : la fable biblique où Noé était juste et intègre devient violente tragédie. Aronofsky donne à voir une réflexion universelle sur les contradictions entre devoir, désir et justice. Alors que Noé souhaite rétablir un monde idéal où la cruauté de l’homme n’est plus, sa femme (Jennifer Connelly) lui demande de penser à leur famille. Alors que sa femme essaye de le convaincre que les hommes sont bons et que leurs enfants le sont également, Noé lui est sceptique et sait que chez tout homme le vice règne. Dans le huit-clos pesant qu’est l’arche, un affrontement véritablement shakespearien se joue dans la relation qu’entretient Noé avec ses proches. Noé qui était pourtant sûr de tout, doute. Les plans très simples sur un ciel gris ne font qu’accentuer le visage désorienté de Noé. D’un côté, Noé est dominé par une croyance qui aveugle tant sa raison que ses sentiments. De l’autre, Tubal-Caïn (Ray Winstone) oppose une logique rationnelle qui pourrait également être qualifiée de juste. Les deux attitudes se justifient et impliquent leur part d’horreur puisque les personnages sont prêts à tout pour atteindre leur but.
Les images apocalyptiques dénotent une destruction de l’homme par l’homme qui fait écho à notre société actuelle. Avec ce film catastrophe, Aronosky nous laisse entrevoir par la même occasion les excès de l’homme moderne. Le film se détache donc de tout dogme religieux et invite à penser et à méditer sur soi. Au niveau de l’image, malgré quelques effets spéciaux un peu cheap , on ne pourra s’empêcher de retenir la séquence verticale où une goutte de pluie plonge vers le visage de Noé ou la très belle scène darwinienne de reconstitution de l’évolution de l’homme.
Loubna Berrada, du Ciné-Club de HEC
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