Bien sûr, c’est une machine hollywoodienne destinée à faire des entrées ; bien sûr, on a le droit au musiques incessantes entendues et ré-entendues, au casting prestigieux d’acteurs plus ou moins bons, et au dénouement censé tirer une petite larme au spectateur. Mais si Noé n’évite aucun de ces travers du cinéma commercial de masse, il parvient toutefois à les dépasser et à offrir au spectateur un film, en demi-teinte certes, mais qui se démarque d’un certain nombre de ses petits camarades.
On peut s’interroger sur la pertinence, en 2014, de sortir en salle un film porté sur un sujet on ne peut plus religieux (le mythe de Noé, i.e. le déluge, l’arche, les animaux, tout ça tout ça), mais au final l’histoire n’est qu’un prétexte saisi par Aronofsky pour construire un univers qui se rapproche bien plus du Seigneur des Anneaux que de Ben-Hur ; des terres arides du Mordor aux armées de Saroumane en passant par une réplique minérale des Ents, les similitude sont flagrantes. Un film de fantasy plus qu’un péplum donc, mais qui a cela d’intéressant qu’Aronofsky s’attache à développer un minimum les personnalités des personnages. Contrairement à la séparation simpliste gentils/méchants qu’on peut parfois regretter dans la trilogie du Seigneur des Anneaux, Noé essaye à ce niveau d’amener une certaine originalité. Si la Bible sert de guide à l’action du film, son vrai sujet est celui de la question de la nature humaine ; l’homme est-il bon ou mauvais, ou plutôt, l’homme peut-il atteindre une certaine forme de pureté sans se trahir ?
Le film commence de façon assez simple ; resitu biblique de l’action, la Genèse, Adam et Eve, le serpent, Abel, Caïn, Seth, tous les hommes sont corrompus sauf les descendants de Seth (Noé et sa famille). Dichotomie simpliste et assez affligeante entre d’un côté les purs, qui respectent la nature (tout le début du film semble être un mauvais clip de campagne d’EELV), et de l’autre les méchants qui tuent les animaux pour se nourrir et qui détruisent la nature pour construire des villages. Passé cette première demi-heure, grosse inquiétude du spectateur qui s’attend à subir ça pendant deux heures trente (le film est long), et il faut effectivement attendre un petit moment avant que la machine ne démarre réellement et que les premiers doutes du spectateur ne surgissent ; certes Noé est quelqu’un de bien alors que le roi des hommes semble être pourri jusqu’à la moelle, mais la volonté de ce dernier de s’approprier l’arche de Noé pour sauver son peuple est-elle condamnable ?
Petit à petit, le jugement du spectateur oscille plus ou moins en faveur de Noé qui, pourtant, reste le seul personnage constant de l’histoire, fidèle à la mission qui lui a été confiée (« radicalisée » dans le film par Aronofsky : alors que Dieu demande à Noé de refonder une nouvelle espèce humaine dans le texte biblique, Noé doit ici se charger de l’éradiquer entièrement). Plus Noé avance dans sa mission, plus le spectateur se détache de lui ; de l’amie de son deuxième fils qu’il refuse de sauver à son refus catégorique d’ouvrir les portes de l’arche sous les cris agonisants des futurs noyés, Noé quitte peu à peu sa posture de héros pour devenir un monstre aux yeux de sa propre famille, et surtout du spectateur.
Le huis clos de l’arche ne fait par la suite que prolonger ce sentiment ; alors que Noé pensait avoir évité toute pérennisation possible de l’espèce humaine, sa fille adoptive qu’il croyait stérile tombe enceinte. Dilemme rapidement résolu : si le bébé est un garçon, il vivra, si c’est une fille, il la tuera à la naissance pour éviter toute descendance. Retournement complet des rôles dès lors ; tour à tour les vices des différents personnages remontent à la surface : jaloux, égoïstes, violents, lâches, fourbes, tous expriment à un moment du voyage une facette de la perversité humaine. Tous, sauf Noé, seul pur de l’histoire, seul véritable monstre du film.
En ce sens, Noé peut d’une certaine manière rappeler Black Swan : la quête de la perfection dénature et détruit aussi bien Noé que Nina, jusqu’à rendre fou le premier (sauvé toutefois par l’acceptation de sa faiblesse à la fin) et tuer la seconde qui ne veut et ne peut dévier de cette recherche de la perfection. Position ambiguë prise dès lors par Aronofsky face au récit biblique : qu’est-il préférable, l’exécution de la volonté de Dieu et la recherche de la pureté, ou l’acceptation d’une imperfection nécessaire de l’homme, conduisant à l’échec de la mission divine et rendant le massacre du déluge inutile ? La réponse apportée par Aronofsky est bien évidemment la seconde et, si elle est concrétisée à l’écran par un certain nombre de scènes plutôt mauvaises voire risibles, elle est apportée un peu plus finement tout au long du film en cherchant l’adhésion du spectateur au côté des viciés plus que du pur.
En bref, si le déroulement de l’action et la réalisation sont parfois bancals, la volonté affichée par Aronofsky de remettre en question le récit biblique pour en faire une ode aux failles humaines et privilégier ainsi l’aspect psychologique plus que dramatique de l’histoire en fait un film de fantasy un tantinet original, sans pour autant atteindre de sommets.
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