Perdidos en la noche – ou Lost in The Night, aucune idée de comment l’appeler, le titre original s’est fait aspirer par sa “version internationale” – est un film mexicain dans lequel on suit Emiliano, 17 ans, à la recherche de sa mère disparue alors qu’elle militait contre l’activité minière dans leur région rurale du Mexique. Cela fait plaisir de voir une production mexicaine distribuée à l’international qui évoque la violence et la corruption sans passer (uniquement) par le narcotrafic. En effet, nous avons découvert le film dans la sélection Cannes Première du Festival de Cannes. A travers le parcours d’Emiliano, l’œuvre aborde les thématiques du traumatisme, du désir et de la culpabilité.
Exploiter les espaces
Dans un film, aucun élément de décor n’est réellement anodin. C’est particulièrement flagrant dans Perdidos en la Noche. La maison des Aldama, famille chez laquelle les recherches d’Emiliano le mènent rapidement, a été créée de toutes pièces par des architectes et équipes de production exclusivement pour le film. Il s’ouvre sur ces décors, par plans fixes.
C’est autour de cette villa, de ses espaces et ses volumes, que va se dérouler le gros de l’intrigue. Elle a été construite pour être au bord d’un lac, qui offre des séquences esthétiquement splendides (bien qu’un peu surréalistes parfois). Ce plan d’eau entretient la part de mystère et d’obscurité qui entoure l’intrigue du film. Amat Escalante n’a pas hésité à l’exploiter dans diverses séquences. Il est d’ailleurs une sorte de pivot, le centre qui raccroche le monde d’Emiliano et celui de la famille Aldama. Effectivement, de l’autre côté du lac, la fameuse mine fait face à la grande maison contemporaine. Les explosions régulières, filmées en plan d’ensemble, s’amusent à nous rappeler l’origine de tous les débordements du film.
Violence dissimulée, violence exposée
La relation des différents personnages à la violence et à la mort dans le film est indescriptible. Toute une dynamique autour de la rivalité, de l’hypocrisie et du suicide est mise en place. Les enfants Aldama grandissent dans un monde complètement dévastateur et faussement protecteur. Au début du film, on cache les cadavres des chiens pour ne pas heurter leur sensibilité, à la fin, les masques et les délicatesses sont tombés un à un, les corps gisent en toute liberté. A mesure que les adultes s’embourbent dans leurs jeux de culpabilité, les répercussions sur les jeunes se multiplient. Le semblant de pudeur disparaît.
De plus, la banalisation de la violence au profit des plus privilégiés est exacerbée à travers les œuvres macabres de Rigoberto – qui se dédie à l’art contemporain – dont lui-même reconnaît à demi-mot les limites et l’absurdité. Il expérimente sur on ne sait quelle émotion ou curiosité malsaine de l’humain, et encore, pas sûre que le personnage soit assez profond pour en arriver là dans sa démarche artistique. Son métier semble se résoudre à obtenir de la reconnaissance, ou plutôt de la célébrité, en exploitant des souffrances et des colères qui lui sont complètement extérieures.
Traquer la vérité, cultiver l’ambiguïté
Au début du film, une dizaine d’adolescents, dont Emiliano, se battent pour un petit boulot monstrueusement dangereux à la fameuse mine, pour 200 pesos (une dizaine d’euros). Quelques scènes plus tard, la matriarche Aldama prévoit un aller – retour à Madrid rien que pour aller voir son dermatologue. L’écart qui sépare le jeune homme de la famille Aldama est alors très net. Il faut peu de temps après leur première rencontre pour que les liens se resserrent et que le centre de leurs préoccupations s’harmonise.
Enfin, la recherche de la vérité est le moteur du film : Emiliano veut découvrir ce qui est arrivé à sa mère. Ses pistes le mènent à un couple de deux artistes qui sont tout ce qu’ils rejettent en apparence. D’une part, une femme, Carmen Aldama, qui dénonce l’égoïsme de son compagnon, puis finit par commettre l’acte le plus égoïste qui soit dans sa situation. De l’autre, son compagnon, Rigoberto Duplas, qui clame son attachement à la liberté, tout en ayant une conscience si faible du poids de ses mots – et de ses ressources financières – qu’il manipule aveuglément tous les rouages de la corruption, sans se soucier de l’impact sur la vie des autres. Et ce jusqu’à ce que la vérité à laquelle il tient tant vienne lui éclater au visage lorsque Emiliano débarque. Rigoberto lui dit d’ailleurs que « la clef de la vérité est dans le langage et entre ses mains ».
La place des adolescents dans ce contexte chaotique est difficile à trouver. Aucun équilibre réel ne se crée pour eux. Monica et Emiliano essayent de combattre leurs traumatismes et de comprendre leur environnement, mais à quel prix ?
Par Naya Loquès