Les placements de produits au cinéma

Un soir de coupe du monde, on attend la mi-temps pour aller faire un tour aux toilettes et passer reprendre quelques bières au frigo, pendant que Peugeot dépense 350 000 euros pour nous présenter en 30 secondes sa dernière 405. Comme la moitié de la France se soulage la vessie et que l’autre moitié n’a pas le permis, ça fait beaucoup d’argent dépensé pour rien. Mais quelque part dans une agence de com, une ampoule s’allume : et si on payait Luc Besson pour qu’il nous fasse une pub de 90 minutes que les gens paieraient eux-mêmes pour aller voir ? En l’an de grâce 1998 est ainsi né Taxi 1.

Un prince charmant et son carrosse

Un vieil ami du cinéma

Pour glisser discrètement une marque à l’écran, personne n’a attendu que Sami Naceri n’enfile un maillot de l’OM. L’exemple le plus souvent cité dans la catégorie « placement de produit poussiéreux » reste The Garage, sorti en 1919 avec Buster Keaton à l’affiche. La marque d’essence Red Crown se débrouille pour apparaitre dans un plan sur trois, sans apporter grand-chose à la kyrielle de petits sketchs burlesques.

Buster Keaton (à gauche) et Fatty Arbuckle (à droite), pionniers du genre

Autre exemple que l’on trouve dans tout top 10 des placements de produits les plus notables, Le jour où la terre s’arrêta que Robert Wise réalise en 1951 offre aux célèbres casquettes New-York de longues minutes de présence à l’écran, quand le pacifique extraterrestre Klaatu taille le bout de gras avec Bobby, un adolescent qui savait dénicher les pièces les plus trendy.

1951 : première fashion week

Tout le monde y trouve son compte

Pendant quelques décennies, marques et producteurs ont pu travailler main dans la main pour que leurs portefeuilles respectifs s’alourdissent tranquillement. Pour un producteur, un produit montré à l’écran rimait avec un chèque, point barre. Les Nike aux lacets automatiques qu’enfile Marty McFly dans le deuxième opus de la trilogie Retour vers le futur furent plus utiles aux caisses d’Universal qu’à l’intrigue du film. Pour un annonceur, la stratégie est gagnante sur plusieurs points : avant tout, le spectateur qui regarde un film ne perçoit pas tout de suite l’apparition d’une marque comme de la publicité, il se montre alors beaucoup plus réceptif. Ensuite, on peut associer l’image d’un personnage à celle d’une marque, au bénéfice de cette dernière. Le sympathique Forrest Gump, le bouillonnant Marty McFly, l’héroïque Peter Parker… ont tous des Nike aux pieds.

Ça l’empêche pas d’être un binoclard

Pour utiliser l’odieux langage des publicitaires, parlons ici d’ODV et d’ODE, soient les occasions pour une marque ou un produit d’être vu.es et entendu.es. Un film est diffusé au cinéma, puis  en VOD, en DVD ou à la télévision. Le produit qui apparaît une fois dans un film est susceptible d’être vu et revu indéfiniment, en fonction du succès de l’œuvre. C’est là aussi que le placement de produit bat le spot publicitaire télévisuel, qui n’a que trente secondes pour faire mouche.

Si je veux que mon film soit réaliste, utiliser des marques réelles peut m’aider à donner l’impression du vrai. James Bond boit des Heineken et regarde l’heure sur une Oméga, exactement comme ton oncle un peu saoul à Noël, celui qui travaille dans les assurances et gagne plein de sous. Le placement de produit bien pensé réussit à passer tout seul et c’est quand on le remarque à peine qu’il fait bien son boulot.

Si le produit montré s’insère bien dans le film, la marque réussit son coup. Une marque peut parfois inventer un produit dans un film et finir par le fabriquer vraiment tant son impact aura été large. C’est ainsi qu’on a vu Booba porter fièrement les fameuses Nike auto-lacées dans le clip de Caramel.

« Larme de Jack au sol pour mes soss morts »

C’est grave, docteur ?

Non, mais c’est pesant quand c’est mal fait ou que c’est trop souvent à l’écran. Dans le premier opus de la saga Transformers, Michael Bay réussit à caser au moins 68 marques, et transforme plus ou moins son film en spot publicitaire géant.

Le seuil du ridicule est franchi avec le tristement célèbre « Dispensor », un transformer caché dans un distributeur de Mountain Dew.

Petit plus : il peut tirer des canettes avec son bras gauche.

Le désavantage majeur du placement de produit, c’est qu’il peut se révéler fort agaçant. La marque affichée en prendra un bon coup dans son capital sympathie, le film sera décrédibilisé… et c’est alors perdant-perdant.

Quand Christopher Reeve sort péniblement d’un camion Malboro dans Superman 2, on grince un peu des dents : les camions Malboro n’existent pas, personne n’en a jamais vus, et  personne ne veut voir le super-héros s’allumer une tige tranquilos en attendant que Lex Luthor sorte de chez le coiffeur.

Heureusement, y’a des lois

Le placement de produit peut donc être aussi ridicule qu’efficace. Vu qu’il nous tombe dessus au moment où l’on s’y attend le moins, c’est une publicité déguisée, voire pernicieuse. Grâce à l’Union Européenne, les placements de produits sont théoriquement interdits, mais chaque État peut l’encadrer comme il l’entend. Il y a cependant des interdits : armes à feu, boissons alcoolisées, tabac et préparations pour nourrissons n’ont pas leur place dans les salles obscures européennes. La législation nord-américaine sur les produits cités plus haut semble un peu moins regardante.

Parfois, c’est chouette.

Il y a des films qui sont tout entier dédiés à la promotion d’un produit, mais qui n’en sont pas moins divertissants. En vrac et sans chronologie, The Social Network (David Fincher, 2010) vante Facebook, L’or se barre (Peter Collinson, 1969) et Braquage à l’italienne (F. Gary Gray, 2003) font la promo des Mini Cooper, et les vingt premières minutes de Seul au monde (Robert Zemeckis, 2000) caressent gentiment FedEx dans le sens du poil. On peut aussi souligner Gran Torino (Clint Eastwood, 2008), dont le titre fait directement référence au modèle de la Ford autour de laquelle tourne le film.

La pratique du placement de produit est devenue tellement courante que certains cinéastes ont fini par la moquer. En 1992, Penelope Spheeris réalise Wayne’s World, où deux gentils losers pénètrent sans trop l’avoir voulu dans le monde des requins de l’audiovisuel. Il en sort une scène d’anthologie où Mike Myers et Dana Carvey disent toute leur haine à l’égard du procédé de placement de produit, casquette Reebok à l’appui.

Le placement de produit a encore de beaux jours devant lui, et l’on se doit de souligner qu’il n’est pas forcément un danger pour le cinéma. Comme il est né presque en même temps que ce dernier, on peut sans doute parler ici de vieux amis. C’est quand la pub prend trop le pas sur l’œuvre qu’il y a un problème. C’est alors aux réalisateur.rices de savoir la jouer fine.

 

Un article de Noé Vidal

 

Crédits photos 

Photo Forest Gump : https://www.google.fr/search?q=forrest+gump+nike&source=lnms&tbm=isch&sa=X&ved=0ahUKEwiZs_GD99LYAhWEJMAKHXPHA_wQ_AUICigB&biw=1366&bih=566#imgrc=TwdIuF9cD85WLM:

Photo taxi : http://www.leblogauto.com/2015/02/le-film-du-samedi-taxi.html/taxi-1

Photo Red Crown : capture d’écran du film (00 :08 :26)

Photo casquette NY : https://www.vivelapub.fr/en/a-history-of-product-placement-in-movies-150-cases-from-1911-to-today/

Photo Spider-Man :  https://www.google.fr/search?q=peter+parker+nike+shoes&source=lnms&tbm=isch&sa=X&ved=0ahUKEwir1ZrZidPYAhVrK8AKHSgdA1YQ_AUICigB&biw=1366&bih=615#imgrc=kklpAp6ktzzT0M:

Photo nike de Booba : capture d’écran du clip (01 :10)

Photo Dispensor : https://www.seibertron.com/energonpub/new-galleries-transformers-age-of-extinction-and-other-movie-universe-toys-t99544s275.php

Photo Superman Malboro : https://www.google.fr/search?q=superman+2+marlboro+truck&tbm=isch&source=iu&ictx=1&fir=LJPPjdwciOa25M%253A%252CgprDQTfBHuVp_M%252C_&usg=__bQvBHcqV2Wg_MD6F9klF6dSmuyc%3D&sa=X&ved=0ahUKEwjH19qJ9NLYAhVIKsAKHfMVBC4Q9QEIKjAA#imgrc=LJPPjdwciOa25M:

Sources 

https://www.vivelapub.fr/en/a-history-of-product-placement-in-movies-150-cases-from-1911-to-today/

http://www.csa.fr/Television/Le-suivi-des-programmes/Les-communications-commerciales/Le-placement-de-produit