Oyez, oyez ! Le marché du Septième Art est en crise (et ce ne sont pas les expo-conférences tintino-scorsesiennes de notre chère Cinémathèque française qui pourront y remédier). Non, le Cinéma avec un grand « C » doit innover. INNOVER. Pourquoi ne pas comparer, finalement, l’industrie du cinéma et sa trépidante histoire artistico-foutraque à l’univers bourdonnant et cinétique de la start-up qui doit trouver combines et tours de passe-passe pour évoluer en même temps que son public ?
N’ayez crainte, et gardez en tête cette salle obscure dans laquelle vous avez tant cherché à dissimuler vos larmes titanesques (en référence au Titanic de Cameron) en prétextant un gros rhume… Visualisez le grand écran, les publicités pré-films, les seules que vous acceptez encore de regarder aujourd’hui pour leur dimension plus « esthétique » que réellement « capitalistique », dîtes-vous, écoutez le son souvent trop fort et les craquements des pop-corns tout autour de vous (et auxquels vous vous êtes progressivement résigné au fur et à mesure de vos sorties ciné-resto-sexe-dodo).
Et maintenant, fermez les yeux et imaginez… Mars 2017. Cannes. Le soleil, les tongs, les lunettes de soleil, les torses suants et les chignons laqués trop serrés. Le festival et ses stars. Les marches et son tapis rouge…On vous propose d’assister à la projection de Carne et arena – « Chair et sable » – d’Alejandro González Iñárritu et on vous tend un visiocasque : c’est un peu encombrant mais ça vous donne une dégaine de Blade Runner 2017 qui ne vous déplaît pas. Ca y est, vous y êtes enfin, le film est lancé…et vous n’en croyez pas vos yeux ! Vous, spectateur, vous sentez immergé au milieu d’un groupe de migrants traversant le désert nord-américain de Sonora… Félicitations, vous venez d’assister à la première projection cinématographique en réalité augmentée du Festival de Cannes.
Cependant, ce rapprochement du cinéma et du jeu vidéo comme l’a fait le programme Next – une organisation constituée en 2014 pour traiter du futur du cinéma – pour le nouveau film d’Iñárritu, demande de repenser notre façon de concevoir le film et d’appréhender cette nouvelle liberté qui nous est proposée à nous, spectateurs.
La réalité augmentée nous oblige à observer notre environnement à 360°, à nous retourner et à bouger dans l’espace. Le même film peut ainsi offrir une expérience très différente selon les spectateurs, à commencer par celle du son immersif. Le visiocasque est en effet conçu de telle manière à restituer le son selon l’endroit vers lequel on se tourne, si bien que chaque spectateur, même s’il regarde le même film au même moment, peut, selon la posture qu’il adopte, entendre un son différent.
Cette nouvelle technologie constituerait donc un danger pour certains cinéastes comme Steven Spielberg. Le réalisateur soutient que la réalité augmentée adaptée au cinéma comporte le risque pour le spectateur de regarder dans une direction non-souhaitée par le cinéaste : s’il décide de se retourner au moment où le personnage principal reçoit sur l’écran principal une flèche en plein coeur, il risque de rater le dénouement central du film.
La réalité augmentée peut aussi remettre en cause l’ensemble des techniques cinématographiques acquises par les réalisateurs, comme les travellings ou les contre-plongées : dans un environnement à 360°, ces techniques n’ont en effet plus raison d’être. Enfin, le port et la vision offerte par le visiocasque peut engendrer une fatigue chez le spectateur s’il est utilisé sur une trop longue durée : il serait donc plutôt préconisé pour les courts-métrages.
Toutefois, face à une 3D qui aujourd’hui plafonne (elle ne représentait que 11 % des tickets vendus en France en 2015), cette technologie pourrait représenter une nouvelle opportunité de relance dans le cinéma, et elle n’est pas la seule : de nombreuses autres innovations cherchent à prendre la relève dans le monde entier. A Dubaï, la chaîne Vox inaugure un écran de 31 mètres de long (le plus grand en France fait 22 mètres de longueur). Dans le même temps, des écrans dits « enveloppants » commencent à apparaître : le ScreenX, développé par un fabricant belge, se prolonge sur les deux murs latéraux de la salle de projection. Lorsque l’on y ajoute des fauteuils vibrants et des effets, l’illusion devient quasi-parfaite : ressentir comme le personnage la sensation de la pluie qui mouille ses vêtements ou du vent qui souffle sur sa nuque, l’odeur terreuse d’une forêt ou marine d’un port un jour de grande marée… L’immersion du spectateur par le son présente aussi de nouveaux potentiels que l’industrie du cinéma doit exploiter à l’avenir. En 2013, Alfonso Cuaron en a donné un premier aperçu dans son film Gravity : la voix de Sandra Bullock retentissait alternativement d’un haut-parleur à l’autre, enveloppant le spectateur de sorte à lui donner cette désagréable impression de vertige vécu par l’astronaute.
Par conséquent, tant qu’il s’adresse à un public avide de nouvelles expérience visuelles et qu’il s’ajoute aux projections classiques sans les remplacer, pourquoi ne pas encourager ce nouveau cinéma du futur ? Car en plus d’être une véritable « gastronomie de l’oeil », le visiocasque, entre autres innovations techniques, constitue aussi un débouché économique non négligeable pour l’industrie du film s’il est mis en avant de manière raisonnée et raisonnable. Il représente non seulement de nouveaux marchés et de nouveaux studios de production (comme l’Oculus Story Studio implanté en Californie), mais aussi de nouveaux métiers qui requièrent créativité, compétences techniques et ouverture d’esprit. Et pour les spectateurs qui veulent se sculpter un corps de rêve tout en regardant sa Palme d’Or préférée, le cinéma en réalité augmentée est un bon moyen de se dépenser et est, en cela, parfaitement recommandé pour la santé ! (Et pas besoin d’un spot TV « mangerbouger.fr » pour le prouver !)
Alors, vous êtes convaincus ?