Le topo est simple : deux chansons inoubliables, deux actrices monumentales et du rouge, beaucoup de rouge.
Talons aiguilles est sans conteste l’un des plus grands chefs-d’œuvre de Pedro Almodovar. Dans ce drame, le réalisateur sublime la relation mère-fille, tantôt conflictuelle, tantôt passionnelle, qu’entretiennent Becky (Marisa Paredes) et Rebeca (Victoria Abril).Becky a toujours délaissé sa fille au profit de sa carrière de chanteuse. De retour en Espagne après de longues années passées au Mexique, elle retrouve Rebeca aujourd’hui présentatrice télé et mariée à l’un des anciens amants de sa mère. Lorsque ce dernier est retrouvé mort quelques temps plus tard, mère et fille sont réunies sur le banc des accusés.
Une relation par procuration
Les chansons de Becky sont à la fois le lien qui unit les deux femmes et ce qui les a toujours éloignées l’une de l’autre. Cette contradiction est merveilleusement illustrée par la distance entre elles lorsque Rebeca écoute, non sans une certaine émotion, une chanson de sa mère dans différentes situations tout au long du film. La jeune femme qui vit très mal le manque d’attention maternelle, a pris l’habitude d’aller voir un spectacle de transformiste dans lequel Letal (Miguel Bosé) imite Becky de Paramo sur scène. Une prestation que les deux femmes vont d’ailleurs voir ensemble dès le retour de la chanteuse à Madrid. Elles sont cette fois l’une à côté de l’autre et pourtant la chanson – Un año de amor interprétée par Luz Casal – n’unit la mère et la fille que par l’intermédiaire du transformiste, incarnation de cette distance. Au-delà de la musique, l’attirance sexuelle de Rebeca pour Letal insiste sur le besoin qu’a la jeune femme de recevoir, toujours indirectement, l’amour maternel qui lui manque tant.
La musique comme pilier d’une relation complexe
La scène la plus révélatrice de cette séparation est sans aucun doute celle unissant les deux protagonistes grâce à la chanson Piensa en mi, toujours divinement interprétée par Luz Casal. La mère est sur scène tandis que la fille passe la nuit en prison. C’est grâce à la radio du dortoir où se trouve Rebeca que cette connexion est rendue possible. L’une et l’autre pleurent de concert, accompagnées par cette envoûtante musique qui se charge tout à coup d’une émotion particulière. Les paroles, littéralement « pense à moi, quand tu souffres, quand tu pleures aussi, pense à moi », sont la parfaite illustration de la main tendue par Becky à sa fille. Impuissante face à la situation, elle lui affirme malgré tout son soutien en lui exprimant (peut-être pour la première fois) son amour. Cet instant marque un tournant majeur dans la relation des deux femmes dans laquelle Becky s’implique pour la première fois. Cette implication, tout d’abord émotionnelle, constituera le premier pas vers la bienveillance voire le dévouement maternels jusqu’ici inexistants.
Dans Talons Aiguilles, la musique n’accompagne pas uniquement l’image, elle permet à Pedro Almodovar de sublimer ses personnages, d’instaurer un lien fort entre eux – à la fois entre Rebeca et Becky et entre Rebeca et Letal – et de faire ressentir leurs émotions au spectateur. Les chansons sont cultes et profondément touchantes, on ne peut pas s’empêcher de les ajouter à sa playlist, de les écouter en boucle et de les apprendre par cœur pour les chanter sous la douche.